lundi 25 novembre 2024

Taulard

Tout le monde m'a mis en garde, mais je l'ai fait quand même. Ça pourrait très bien être mon épitaphe ou une phrase stupide que je me ferais tatouer plus tard, aujourd'hui c'est celle-là que je me fais piquer : "Good life" sur les phalanges avec un palmier et un verre à cocktail dessiné sur les pouces.
J'ai pas mal hésité avec "last life", une tête et une queue de chat. Il y avait aussi  "long exil", un papillon et une chaine brisée en référence au roman d'Henri Charriere, mais ça faisait peut être trop "taulard", et donc référence à mon boulot. Ce n’était clairement pas le but, voir même tout l'inverse pour être honnête.
Oui parce que je suis surveillant à la pénitenciere, un maton comme on dit! Un métier avec une pénibilité particulière il faut l'avouer.
Non seulement vous êtes enfermés avec des individus dangereux, mais bien souvent vous avez le sentiment que ce sont eux qui vous surveillent et non l'inverse.
C'est justement pour me rappeler à mes bons moments, quand les temps sont difficile entre ses murs qu'alors je regarde mes doigts et relativise sur l'instant. Et là, je pense à mes vacances, à ses souvenirs qui me sont chers, loin d'ici, de tous ses barreaux d'acier et murs de béton. C'est un peu ma façon à moi de m'évader l'espace d'un instant.

Ca faisait un moment que je voulais me faire tatouer les doigts, aussi loin que je me souvienne, je crois que ça remonte à cette époque où je regardais des vidéos clips musicaux sur MTV allongé confortablement sur le lit de la chambre de ma grande mère.
Il y avait celui de "What's my age again" de Blink 182 qui passait en boucle à ce moment-là avec leurs batteur, Travis Barker, qui était entièrement tatoué!
À moins que ce soit les freres Madden dans le clip "boys and girls" de good charlotte.
Vous l'avez compris, j'ai eu une adolescence influencée par la musique pop punk...rien ne présageait donc une orientation professionnelle autour des métiers de la sécurité et pourtant...

C'est un milieu professionnel des plus dangereux. Basiquement, vous pouvez vous faire planter à chaque instant et si vous n'êtes pas suicidaire en rentrant vous le deviendrez surement. Cela touche aussi bien les "résidents" que les "surveillants". D'ailleurs, on est tous quelques parts résidants, puisque nous autres "matons" logeons généralement dans les quartiers jouxtant la prison. Tout ça peut rapidement devenir étouffant. Vous ressentez cette étrange sensation que les murs se resserrent autour de vous un peu plus chaque jour qui passe. Cet uniforme qui vous colle à la peau au point de vous demander si vous aussi vous n'êtes pas qu'un matricule. Voilà, pourquoi je me suis tatoué le cou et les doigts, pour me réapproprier mon corps, ma personne.
On pourrait très bien faire le parallèle avec les murs d'une cellule de prison, sur lesquels un condamné dessine, inscrits des phrases pour s'approprier l'espace.

Et donc, comme je disais au début, ma famille, mes amis et mes collègues m'avaient mis en garde, avec plus ou moins de bienveillance au sujet des conséquences que cela implique.
"Si un jour tu changes de travail ou que tu as des recrutements, ça va poser problème";
Certes, de par mon statut de fonctionnaire, j'ai une relative "sécurité" de l'emploi même si je peux me faire tuer à tout moment. Pour ma part, je ne nourrit pas d'ambition professionnelle particulière, n'étant pas carriériste et les perspectives étant assez limités, la promotion interne n'a que peu d'intérêt pour moi comme pour beaucoup de mes collègues.
À croire qu'ici, tout le monde veut s'évader.
Si au début, je m'en foutais, cela a fini par m'atteindre jusqu'à m'inquiéter.
Pourquoi me discriminerait-on sur mes tatouages plus que sur une ma taille, mon sexe, une calvitie, une dyslexie, un accent ou même une mauvaise dentition ?
Outre le fait qu'elles peuvent indiquer un éventuel problème d'hygiène, cela peut également être le cas de vice bien plus inquiétant comme la toxicomanie ou plus couramment l'alcoolisme associé au tabagisme.
Sinon, on pourrait tout aussi bien se concentrer sur les qualifications du candidat, comme sa maitrise de l'expression orale et écrite, de la pratique de langues étrangères (prenez l'anglais par exemple, qui de nos jours, s'impose comme un indispensable), mais non, on préfère s'arrêter sur des détails futiles.

J'ai un job qui me permet de payer mes factures et de voyager un peu, j'ai une femme que j'aime, qu'est ce qu'il me faut de plus ?
Peut être que j'aime vivre dangereusement ou que tout simplement, j'ai envie de faire ce que je veux, sans me soucier des conséquences, après tout, chaque jour qui passent j'ai d'innombrables exemples de personnes qui ont fait des choix de vie bien plus discutables et controversés que des tatouages sur les doigts.
Est-ce une raison valable pour me mettre moi aussi, au banc de la société comme les détenus que je surveille à longueur de journée ? Parfois, j'ai l'impression qu'on a plus de mensuétude envers les criminels que ceux qui ont la difficile tache de les garder.
Quoi qu'il en soit, je prefere etre moi même, que de rester enfermé dans les standards de cette conformité.

lundi 21 octobre 2024

Histoires de tournée

Croyez-le où non, ceci est une histoire vraie!
Et comme tout événement fantastique, le doute divise toujours ceux qui en sont témoins.
C'est d'ailleurs encore le cas aujourd’hui des protagonistes du récit que je vais maintenant vous raconter.

Mais avant de commencer, je tiens à préciser que ce que vous allez lire là est un exercice un peu nouveau pour moi.
Durant toutes ces années, j'ai pris l'habitude de distiller un peu de moi entre les lignes de mes nouvelles, par toutes petites doses, via quelques clins d’œil, traits ou détails.
Il n'y a qu'à relever la présence de ce cher Carl le Carlin qui bien souvent se balade dans mes récits comme pour lever la patte et y marquer son territoire.
C'est donc un récit autobiographique que vous lirez là, ce choix se justifie par la simple nécessité pour moi de vous livrer la vérité sur ces étranges événements sans détour et telle que je les ai perçu.
Imaginez qu'on le soit assis vous et moi au coin d'un feu de camp ou alors comme des enfants sous une tente faite de draps, le visage éclairé par le bas à la seule lueur d'une lampe torche pendant que je vous raconte ceci : "A cette époque je jouais les roadies (je m'occupais surtout de distribuer des flyers, faire le merch et amuser la galerie) pour un groupe de ska-rock qui s'appelait Solyass.
Ceux qui étaient ados dans le Vaucluse et qui écoutaient du rock entre 2003 et 2008 en ont forcément entendu parler à un moment donné.
Solyass donc, qui fort de sa notoriété locale grandissante aspirait à se faire entendre dans de nouveau territoire.
Bien qu'étant sudiste, le groupe nourrissait sans complexe l'ambition de se produire dans la capitale, ce qui finit par arriver après avoir écumé les salles de concert et les magasins Cultura d'une bonne partie de l'hexagone.
C'est d’ailleurs une tournée promotionnelle de leur album "des corps et décors" qui nous amenait en région parisienne.
Pour le jeune provincial de 20 ans que j'étais et qui n'avait encore jamais mis les pieds en ile de France, ne serait-ce même qu'à Eurodisney, ce voyage à Paname était une première, pour ne pas dire une aventure.
En déplaise à certain politique victime de la fièvre démagogique bienpensante ainsi qu'à l’agglomération de la ville de Saint Denis, qui se passerait bien de toutes mauvaises publicités, sa réputation n’était déjà plus a faire!
Famille et connaissances diverses nous avaient déjà mis en garde contre les banlieues parisiennes, en particulier le 93, que tout le monde qualifiait de ghetto, de jungle urbaine ou souvent comparait la zone au jeu video GTA.
Tout cela n'est qu'à peine exagéré, en témoigne c'est 10 jours passés là-bas, dans cette no-go-zone de non-droit.

C'est après plus de 7h route en mini-van que nous sommes arrivés.
Réveil difficile pour ma part puisque assis sur la banquette trois places à l'avant, je fus attaché (il suffit de faire passer le morceau de ceinture distendu derrière l'appui-tête) par les 4 assis derrière moi, même si je soupçonne Mathieu plus que les autres d'avoir fait le coup.
Un exemple des petits jeux stupides auquel nous aimions jouer en tournée.
Et c'est donc en chahutant bruyamment (7 jeunes hommes, je vous laisse imaginer l'ambiance!) que nous avons débarqué au motel F1.
Christian que tout le monde appelle Chrid pour une raison que j'ignore qui faisait aussi office de producteur/tourneur/chauffeur/manageur et père de Arnaud le chanteur réservait les chambres, pendant qu'on déchargeait les affaires dans l'entrée.
En montant à nos chambres, au dernier étage, nous croisons dans le couloir une femme intégralement voilée avec une enfant qui sortait de la dernière porte au fond, face à la notre.
La silhouette fantomatique aussi déroutante qu'inhabituelle n'occupa nos pensées que le temps de son passage et d'une petite réflexion humoristique entre nous.
Dans notre chambre, on s'attribuait les lits ou plutôt se les disputait et une fois tout le monde installé Mathieu, le batteur, sortit une bouteille de vodka accompagnée de jus concentré de citron et de quelques bières.
La soirée pouvait enfin commencer!
Je vous en épargne sa description et vous laisse imaginer ce festival de discussions grivoises, de paris stupides aux enjeux insensés, de rires et de flatulences auquel on peut s'attendre entre jeunes adultes ivres.
Deux chambres, deux ambiances.
La notre était un véritable défouloir pour ne pas dire un dépotoir quant à l'autre c'était le dortoir de Véran, Chrid et Fred tenter de faire abstraction du vacarme que l'on occasionnait.
À intervalle régulier, l'un d'eux frappait dans le mur mitoyen pour nous signifier qu'il fallait faire moins de bruit.
La fatigue nous gagnant comme le silence depuis un moment dans la chambrée, nous commencions à nous endormir lorsque Arnaud reçut un SMS de Véran nous demandant d’arrêter de crier à la surprise générale.
Nuit trop courte ou inconfortable, car entassé à 3 dans un lit deux places comme une fratrie pauvre; les ronflements de Chrid et Véran dans la chambre d'à côté qui faisait vibrer la cloison; au matin chacun choisissez son option pour justifier de sa fatigue et de son manque de motivation.
Une tournée promotionnelle de show-case peut rapidement s'avérer ennuyante : jouer le même set de 30 minutes 2 fois le matin faire une pause déjeunée, jouer encore 3 ou 4 fois avant la fermeture du magasin, répéter les mêmes blagues entre chaque chanson à un rythme d'usine en essayant de garder ce sourire clownesque forcé et surtout faire semblant d'y trouver encore de l'amusement.
Tout ce que vous finissez par souhaiter c'est la fin de la journée pour aller vous reposer ou vous détendre avec vos potes.
À vous de choisir la bonne chambre.

Et rebelote, nouvelle bouteille de vodka, nouveaux paris encore plus stupides.
Cette fois il était question que je boive un cocktail à base de Vodka et de jus de citron dans lequel j’aurais fait tremper mon gros orteil purulent (en cause un ongle incarné mal soigné).
Véran, Chrid ou Fred à côté qui tapaient encore pour qu'on arrête notre vacarme quand soudain un bruit vient couvrir le nôtre, un cri strident et terrifiant!
TA CHATTE QUI SENT LA MERDE!!! PETITE PUTE! HAAAAA!
OUIN..OUIN..OUIN..
Dans notre chambrée un long silence demeura durant lequel on se regarda tous les uns les autres avant d'exploser d'un rire nerveux et communicatif.
OUIN OUIN OUIN TA CHATTE QUI SENT LA MERRDDDEE!!
"On dirait des cris de femme et des pleurs d'enfants ?" fit Mathieu en me regardant.
"±." lui disais je en écoutant avec attention.
HAAAAA! SALOPE!!!! TA CHATTE QUI SENT LA MERDE!!!
"On se croirait plutôt dans un film d'horreur...c'est étrange, ça se répète, toujours les mêmes phrases...tu sais on dirait les samples de film d'horreur que certains groupes de grindcore utilisent en sample au début de certains morceaux"
"Ha peut-être.." me répondit Mathieu intrigué.
PETITE PUTE! SAAAAAALLLLLLOPE!!!!
Je me rapprochais sans faire de bruit, collais prudemment mon oreille contre la porte de la femme et chuchota à Mathieu : "Non..Non c'est bizarre, c'est drôlement fort" constatais-je en étant parcouru par un frisson de terreur.
TA CHATTE QUI SENT LA MERDE!!!!
"Je pense que c'est ça, mais c'est étrange! On devrait prévenir la sécurité."
Sur la pointe des pieds nous avons longé les murs du couloir jusqu'à l'ascenseur.
En bas, nous avons demandé au responsable de l’hôtel d’aller gentiment faire son boulot tandis qu'il était en plein visionnage d'un porno ou d'un match de foot.
Ce dernier nous raccompagna à notre chambre puis tapa avec insistance à la porte de notre voisine et après quelques longues secondes elle entrouvrit sa porte.
Alors qu'il lui demandait de "baisser le volume de la TV ou de la radio" et une voix de femme répondit "je n'ai rien d'allumé".
Cette seule phrase suffit à nous glacer le sang et faire de notre pire délire paranoïaque une certitude.
Arnaud était le septique de la chambré et naturellement il lança le débat autour de nos diverses théories sur ce qui se tramait de l'autre coté du couloir.
Évidemment, les cris reprirent 1h après, retentissant jusque dans notre chambre!
En dépit de deux descentes à la réception, nous abandonnions l'idée même de la faire cesser et je vérifiais le verrou de la porte puis m'endormis d'un sommeil alerte, recroquevillé sur moi même avec les mains jointes comme pour prier.

On s'habitue à tout, les ronflements des 3 autres de la chambre voisine, les odeurs de pied, de pet froid et même la gueule de bois...
Mais on se lasse de tout également, jouer toujours les mêmes chansons, sortir les mêmes blagues, manger à Flunch, faire les mêmes chorégraphies et les mêmes commentaires du public.
Alors quand vous voyez depuis votre fenêtre une voiture bruler sur la bretelle d'entrée du périphérique forcément vous êtes un peu excité!
D'autant plus quand vous venez d'une province où ce genre d’événement ne se déroule que dans les films ou les quartiers sensibles où personne n'oserait s'y aventurer hormis pour acheter du shit.
Même les cris de la folle de la chambre d'en face finissaient par faire parti du décor, c'était devenu à force un running gag pour combler les silences de façon comique.
Le rire avait pris le pas sur la crainte, les gars lui répondaient même en passant la tête dans l’entrebâillement de la porte, mais elle continuait de m'effrayer au fond de moi.
Et je trouvais au fond de la bouteille de vodka et les jeux alcoolisés avec Mathieu la distraction parfaite à mes peurs.
D'ailleurs l'histoire de la femme voilée et son bébé n'était pas le seul mystère durant ce séjour, il y avait aussi celui du "caca sur l'oreiller".
Au cours de notre rituel festif j’avais une fois de plus perdu en refusant de boire le shot de trop et était soumis à un gage.
Lors du précédent j'avais failli tomber en pissant par la fenêtre et donc logiquement avait demandé à devoir exécuter quelque chose de moins dangereux, c'est pour quoi je devais traverser le couloir tout nu ne tapant à toutes les portes.
Finalement, une fois déshabillé et devant la porte je me débinai.
In extremis, j'avais réalisé que je risquais de tomber sur la "fatma" comme aimait l'appeler Mathieu.
C'est alors que les trois autres de la chambrée se liguèrent contre moi pour m'évincer hors de la chambre, tout nu dans le couloir.
Au bout de quelque minute, ils me rouvraient la porte et je jurais à Mathieu que je me vengerais, qu'il ne devrait pas s'étonner de se réveiller au matin avec un caca sur l'oreiller.
Le lendemain, à ma plus grande surprise, mais pas seulement, celle aussi de Arnaud, Patrick et Mathieu un gros étron de chocolat filandreux était retrouvé enfoui tout pré de la tête de ce dernier, dans son coussin.
Bien que le seul à avoir acheté au distributeur et mangé des sucreries ce soir-là était Arnaud, personne ne s'était dénoncé et le mystère restait entier.

C'est au terme de notre quatrième et avant dernier jour de tournée que Chrid en sa qualité de producteur et manageur satisfait de nos ventes et de nos prestations nous invita au restaurant.
Évidemment, cela dégénéra en bagarre de nourriture où chacun avait pris soin de saboter le plat de son voisin et nous furent contraint de quitter prématurément les lieux.
À notre retour à l’hôtel nous remarquions un taxi à l’arrêt moteur tournant devant l'entrée qui venait de déposer un couple d'Africains.
Le temps de monter une partie de nos affaires à nos chambres et de retourner récupérer le reste au van, nous croisions à notre étage 3 hommes cagoulés sortir de l'ascenseur et se précipiter vers la chambre du couple africain.
Tout se passa à une vitesse....l'homme eu à peine le temps d'ouvrir la porte qu'une pluie de coups s’abattit sur lui tandis qu'elle se faisait frapper et arracher quelque chose des mains.
Les malfrats étaient repartis avec seulement une sacoche et rien d'autre tandis que les prétendues victimes, elles redescendaient en trombe pour regagner le taxi qui les attendaient étrangement toujours à l'entrée.
Arnaud, certainement le plus bagarreur d'entre nous, aveuglé par son courage ou n'ayant compris que partiellement la situation, avait voulu s'interposer en entendant les cris de la femme, mais avait été retenu par son père, heureusement pour lui et pour nous.
Qu'est-ce qui est plus effrayant qu'une voiture qui crame, une fatma frappa dingue et un caca sur votre oreiller? Se retrouver mêlé à un deal qui tourne au règlement de compte.
C'est ce que je pensais à ce moment-là sans me douter que ce qui m'attendait durant cette nuit me ferait changer d'avis.
Ah ça non, je n'étais pas encore au bout de mes surprises.
Tous ces événements étranges ne nous empêchèrent ni de faire une nouvelle fois la fête ni de trouver le sommeil.
Sauf peut-être les cris de la fatma qui reprirent de plus belle au milieu de la nuit après une relative accalmie en début de soirée.
Cependant il y avait quelque chose de différent et de beaucoup plus inquiétant dans ses cris qu'à l'ordinaire, on pouvait percevoir une sorte de tristesse dans ceux-ci.
Depuis notre porte laissée entre-ouverte, on l'a vit traverser le couloir à la manière d'un spectre, allant d'un point à autre sans se soucier de ce qu'il y avait autour d'elle ou de notre réalité, comme si elle errait hantée par d'éternels tourments.
Mathieu pris par une furieuse envie de pisser, bien que je lui ai déconseillé d'y aller et de plutôt se soulager par la fenêtre, se leva et se dirigea dans la même direction qu'elle : les sanitaires communs.
Il s'en suivit une longue attente inquiète ou je prêtais attention au moindre bruit provenant du fond du couloir.
Soudain, Mathieu réapparut dans l'encolure de la porte avec une expression étrange.
À ce moment-là, je n'aurais su dire si c'était là un signe d'un état d'ivresse avancé ou un rire nerveux et bien lucide.
La raison en était la découverte qu'il avait faite dans les sanitaires et qu'il me sommait de venir constater à mon tour.
Évidemment je refusais en me débattant tandis qu'il me trainait par les pieds dans le couloir jusqu'à ce que je cède.
De toute façon c'était déjà trop tard pour faire demi-tour et valait mieux ne pas faire de bruit que de risquer une confrontation avec la "Fatma".
Nous nous approchions prés d'un toilette à la porte entrouverte, c'était là que Mathieu avait uriné avant d'y découvrir cet intriguant sac poubelle qu'il me désignait du doigt.
Je m'approchais pour regarder à l’intérieur.
Un frisson me parcourait alors que je la savais enfermée dans une cabine de douche à quelques mètres de nous, le bruit de ses pleurs se confondant avec celui de l'eau ruisselante.
Penché au-dessus du sac, je renonçais à défaire le nœud et déchirait le plastique.
Une odeur infâme me parvint et me fit détourner le regard.
"Alors tu vois quoi?" m'interrogea Mathieu.
Je ne trouvais pas de mot pour décrire ce que je voyais, dans la semi-obscurité des toilettes je discernais des morceaux grisâtres et un liquide épais jaune, vert s'apparentant à du pu.
Quand l'eau de la douche cessa de couler, nous nous précipitions hors de la salle de bain pour prendre l'ascenseur et gagner la réception.
Je me souviens avoir eu cette peur panique dans ma fuite, cette peur d’apercevoir du coin de l’œil la fatma sortir et m'attraper d'une main monstrueuse.
Le veilleur de nuit qui commençait à nous connaitre à force, ne prêta pas beaucoup de crédit ni d'intérêt à ce que nous lui racontions (après tout, nous n'étions pour lui que des blancs becs de province) et décida de rester confortablement assis derrière sa banque, vautré dans sa fainéantise.
Inutile de préciser que cette nuit là, je ne dormis que d'un œil, l'autre étant resté braqué sur la poignée de la porte de notre chambre fermer à double tour.
Au petit matin, je croisai une femme de chambre qui récupérait les serviettes pour la blanchisserie et lui demanda de me suivre pour lui montrer quelque chose.
Le sac-poubelle était resté au même endroit où nous l'avions trouvé la veille et lorsque je demandais à la femme de ménage de me dire ce que c'était pour elle, cette dernière le souleva, l'ouvrit puis me répondit :"on dirait de la viande".
Il n'en fallut pas plus pour confirmer les théories les plus folles que Mathieu et moi avions élaboré.
Et tandis que notre chambrée s’affairait à ranger ses affaires en vue du grand départ tout en débâtant des événements de la nuit dernière, la fatma passa une dernière fois devant notre porte, elle quittait sa chambre avec sa valise, mais sans nourrisson.

Bien des années après, cette histoire invraisemblable, sujette à l’interprétation et au témoignage de chacun, continue d'animer nos discussions et de soulever des questions et peut être les votre maintenant.

mercredi 11 septembre 2024

Paradisiaque

Mes affaires sont prêtes, billets en mains, lunettes de soleil sur le nez et mon sac sur le dos.
Un bagage cabine suffit.
Pas besoin de valise là ou je vais, j'aime voyager léger et de toute façon elles seraient pratiquement vides. 
J'espère juste ne rien oublier...Ha si, mon guide posé sur la table de chevet.
La seule chose qui me sera indispensable dans cet endroit paradisiaque!
Je suis fin prêt, le taxi m'attend en bas de l'immeuble.

La sonnerie de mon téléphone m'indique que j'ai encore un message.
C'est l'agence de voyages qui m'envoie un énième mail.
Il semble inquiet que j'annule tout au dernier moment alors que tout est payé! C'est peut-être pour me rassurer après la liquidation de Thomas Cook.
Pourtant je lui ai bien dit à mainte reprise que rien ne pourrait me faire changer d'avis!
En plus la plupart de mes proches sont partis (certains même sont déjà revenus) et ceux qui restent ici m'envient.
Voilà ce qui vous arrive quand vous prenez vos vacances hors période de congés, mais je ne vais pas me plaindre, comme dit plus haut, moi j'ai la chance de pouvoir partir, pas comme certains.
Je vois le bout du tunnel, fini la déprime! Ce matin j'ai même rasé ma barbe, c'est pour dire!
Toutes ces journées enfermés à travailler dans des sous-sols mal éclairés avec une seule idée en tête : "partir loin".
Il faut dire que j'en avais vraiment besoin.
Le farniente, un ciel azur avec toutes ces jeunes femmes célibataires qui n'attendent que moi.
Moi, c'est comme ça que je le conçois, une interprétation qui m'est propre, libre à vous d'imaginer le vôtre.

Le passage à basse altitude d'un avion de ligne me sort de ma rêverie, nous sommes tout proches de l'aéroport.
À l'arrêt du véhicule, je paie le chauffeur de taxi.
Satisfait du pourboire que je lui ai donné, celui-ci se propose de me porter mon bagage, mais je ne peux accepter.
Vous allez vous dire que je suis un peu parano comme type, mais imaginons qu'il se barre avec ma valise! Ça s’est déjà vu!
Il y a bien des faux taxis tueurs en série...vous ne pouvez faire confiance à personne, pas même aux bagagistes.
C'est pour cette raison que je voyage seulement avec un bagage à main pour ne pas qu'il aille en soute.
Déjà que je suis bien obligé de passer l'inspection des douanes.
Ils sont très suspicieux, depuis les attentats du 11 septembre 2001 et d'autant plus après l'avion disparu de la Malaysia airlines!
Avant le terrorisme moderne, les gens avaient juste peur que l'avion s'écrase au décollage ou l'atterrissage. 
D'ailleurs, c'est pour ça que certains continuent d'applaudir par tradition!

Cette seule pensée me fout une montée de stress et en passant devant la salle de prière de l'aéroport, j'hésite à m'arrêter.
Rester calme, oui, focalise-toi sur ta respiration, on inspire et on expire profondément, voilà, c'est bon.
Je m'insère dans la file pour passer la fouille de sécurité, je prends mon bac et y dépose mes effets.
Une petite vieille blanche me colle en me poussant du coude, encore une pressée de mourir, vas-y mamie à toi l'honneur, passe dans le portique, on va bien rigoler quand les secours vont débarquer pour changer tes piles.
Tout ça pour au final mettre deux heures à retirer toutes ses bagues, ses colliers et autres boucles d'oreilles. T'inquiètes pas va, on t’enterrera avec tes bijoux.
Et malgré tout sonner encore, oublier qu'elle a des broches dans la hanche et une plaque en fer dans le dos.
Aujourd’hui, je le sais si la recherche s'interroge encore si la maladie d'Alzheimer est liée à l'aluminium, elle l'est sans aucun doute possible à la vieillesse.

J'ai perdu pas mal de temps avec ces conneries et j'arrive tout juste à temps pour la fin de l'embarquement.
Derrière un comptoir une jolie hôtesse de l'air vérifie mon billet et mon passeport puis je traverse la passerelle d'embarquement vitrée où m'attend une autre de ses collègues au décolleté aussi large que son sourire.
Celle-là doit aimer s'envoyer en l'air, à n'en point douter.
Tout sourire elle m'indique où est située ma place : au-dessus de l'aile droite, tout près de la porte de secours.
Pour cette place j'ai dû payer un supplément et on me l'a attribué sous condition que je parle couramment la langue de la compagnie et que je réponde aux exigences en matières de sécurité.
Exigences qui sont autant obscures, opaques et arbitraire que possible, pour être clair c'est à la gueule du client, en fonction de la taille de sa barbe. 
Bien souvent accordé pour que le voyageur puisse y étendre ses jambes, le comfort prévôt sur la sécurité. L'argent est plus fort que tout.

Dans les hauts parleurs, la voix du commandant de bord et son message d'accueil pleins de banalités résonnent jusqu'à mes oreilles.
Je m'installe à ma place, le siège est drôlement rigide et j'appuie sur le bouton encastré dans l'accoudoir pour allonger le dossier.
La même hôtesse qui passe entre les rangs me demande fermement de redresser mon assise et de boucler ma ceinture en vue du décollage imminent et continue son chemin en plaisantant avec un Stewart.
Ces deux-là baisent ensemble ou s'apprêtent à le faire, c'est certain.
Le sida s'est probablement initialement propagé comme ça : dans des toilettes d'avion, d'aéroport en aéroport, d'hôtesse de l'air en pilote en femme au foyer en jardinier en prostitué.
Rien à voir avec une quelconque expérimentation sur un singe de laboratoire. 
La bactériologie, la viralité, c'est là, un stratagème diaboliquement efficace qui a fait ses preuves, sauf si bien sûr cet avion s'avère rempli de mormons.
Cela dit, elle pourrait tout autant vous contaminer avec ebola.
À moins que mon voisin de droite qui sue à grosse goute fiévreuse et éternue à intervalle régulier s'en charge à sa place.
La paranoïa me fait voir le mal partout, après tout le pauvre homme a peut-être simplement peur du décollage tout comme moi.

Tandis que s'en suivent les instructions de sécurité de l'hôtesse, les regards inquiets se tournent vers les hublots alertés par l'allumage des réacteurs qui fait vibrer tout le fuselage.
Le décollage est imminent, cette fois.
Je n'ai plus qu'à faire une dernière prière pour que l'avion n'ait pas de problème technique : dépressurisation soudaine, décrochage...
C'est plus souvent au moment du décollage ou l'atterrissage que cela se produit.
Nous quittons la piste au tarmac rugueux, quelques secousses et l'engin prend enfin son envol.
À peine j'essaye de fermer les yeux pour me détendre un instant que j'entends derrière moi un trou du cul d'espagnol en pleine discussion téléphonique pépère, comme si de rien était.
Je me retourne, le fusille du regard et il interrompt immédiatement son appel.
Ma parole, ils sont tous animés de leurs instincts de mort aujourd’hui?!
Faudrait pas qu'on me vole la vedette! C'est MON attentat, MON crime de masse à MOI!

Une courte sonnerie retenti suivi d'une nouvelle annonce du commandant de bord nous disant que la phase de décollage étant terminé, nous pouvons détacher nos ceintures et qu'une collation va nous être servi.
Derrière le hublot, tout parait minuscule, on se sent plus proche de Dieu et c'est ainsi qu'il doit nous observer, nous mettre à l'épreuve.
L'hôtesse passe avec un chariot en proposant un plateau-repas aux voyageurs : du pain, une motte de beurre, un verre d'eau, un poulet basquaise, un cheese-cake, une tranche de fromage et une mignonnette d'alcool.
On dirait un plateau qu'on servirait à l'hôpital, même les condamnés à mort ont un dernier repas plus festif.
Faute de mieux, je finis par tout manger, trop rapidement comme si je ne voulais pas en apprécier les saveurs et je serais bien tenté par la petite bouteille de whisky pour me donner du courage, si seulement ma religion ne l'interdisait pas.
OH MON DIEU! Quelques choses me frôlent les pieds, se faufile entre mes jambes, ne me dites pas qu'IL Y A DES SERPENTS DANS L'AVION!!!
Fausse alerte, fausse alerte, ce ne sont que des gosses qui s'amusent à ramper sous les sièges.
Maintenant ils se dirigent vers le cockpit, où le pilote les invite à s'assoir derrière le manche.
Initiative complètement folle quand on connait la triste histoire du crash de l'Airbus A310 vol 593 de la compagnie Aeroflot entre Moscou et Hong Kong.
Le pilote avait laissé ses enfants jouer dans la cabine avec les commandes et ceux-ci avaient inconsciemment désactivé le contrôle du pilotage automatique de l'avion.
Toute fois il n'y a pas que du commandant de bord qu'il faut se méfier, mais aussi du copilote. 
Celui-ci n'avait pas l'air dans son assiette quand je l'ai croisé, le regard vide, le teint blafard.
J'espère seulement qu'il n'est pas dépressif.
Imaginons une seconde qu'une pensée morbide traverse son esprit fragile et qu'ensuite il s'enferme dans la cabine comme ce fut le cas de l'A320 de la germanwings.
L'avion tomberait à l'eau et mon plan avec.

Je ne sais pas si vous réalisez ce que ça représente, ce sont des mois de préparations, de privation, d'apprentissage et de conditionnements sacrifier pour rien.
Tout ça, parceque'un putain d'arriviste aurait une pulsion suicidaire?!
Ah ça non, je ne laisserais personne me couper l'herbe sous le pied.
C'est dingue quand même, il faut toujours qu'un connard égocentrique vienne saboter les efforts collectifs!
Il ne se contente pas de gâcher la fête, pire que ça, il tire la couverture à lui, s'attribue les mérites, détourne la gloire de l'événement pour son propre profit.
Alors que moi je fais ça pour l'expiation du genre humain, la rédemption de cette société obscène et décadente pour laquelle j'accepte de devenir martyre.

Et si par malheur vous survivez à tout ça, que vous échouiez sur un sommet enneigé ou une île déserte, vous continuerez à vous entre-tuer, à vous manger les uns les autres jusqu'au dernier.
Mais rassurez-vous, aujourd'hui il n'y aura d'issue pour personne quand j'aurai ouvert la porte de secours après avoir enlevé ce fichu cache poigné blanc.
Ne vous inquiétez pas, j'ai pensé à tout, je sais que sur la plupart des appareils les portes ne peuvent pas s'ouvrir en altitude, à cause de la pression atmosphérique trop forte pour qu'elles se rabattent vers l'intérieur.
Heureusement pour nous, il y a quelques exceptions notamment sur les avions plus récents comme celui dans lequel nous voyageons qui ont un mécanisme d'ouverture vers l'extérieur.
Après quoi, la cabine sera dépressurisée, les masques à oxygène tomberont du plafond, la panique durera moins de 20 secondes pour ceux qui n'auront pas le réflexe d'en enfiler un et pour les autres le calvaire sera d'une quinzaine de minutes, le temps d'arriver au point d'impact.

Une dernière fois, il décompose son geste mentalement avant de s'exécuter, mais sa projection imaginaire se confronte à la réalité. Oui je sais cela peut paraitre étrange de faire intervenir un narrateur omniscient à ce moment du récit. N’oubliez pas qu'il s’agit là de l'histoire d'un homme qui croit entendre une voix divine le guider vers le Paradis. À partir de ce moment-là, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'il y en ait une de plus. Vous ne croyez pas?

Il se lève de son siège, saisit la grosse manette rouge entre ses mains quand il se trouve soudainement pris de spasmes stomacaux.
Agenouillés par la douleur vive qui le pétrifie, les autres voyageurs autour de lui se demandent logiquement s’ils ne sont pas en train d'assister à une inquiétante scène de prière islamique.
Leurs interrogations se muent en suspicions quand notre aspirant terroriste s'enferme dans les toilettes.
S'en suivent pour lui des turbulences et grondements dans son ventre. 
Notre forcené, réalise un peu tard, qu'il s'est retranché sans papier hygiennique.
Son incomodité est telle qu'il songe à utiliser quelques pages de son Coran pour s'essuyer.
Alerté par les passagers le personnel de bord accoure jusqu'à la porte close.
Un Stewart, s'aventure à poser l'oreille contre la paroi pour écouter ce qu'il se passe a l'intérieur.
Horrifié, il entend pleurer et implorer, des bruits métalliques de tôle froissée et les détonations extraordinaires de ce qu'il n'imagine pas être des flatulences.
Ce sur quoi,L'hôtesse tape à la porte et demande si "tout se passe bien là dedans ?" d'une voix qu'elle voudrait apaisante.
Et puis d'un coup plus rien, un grand silence, les membres d'équipage et les passagers se regardent les uns, les autres, attendant que les premiers agissent.
Un cri étouffé de soulagement suivi d'un petit rire fou resonne depuis les toilettes et glace d'effroi tout l'avion.
Dans un élan d'héroïsme désespéré le Stewart ouvre la porte d'un grand coup d'épaule et tombe nez à nez avec le terroriste recroquevillé sur la cuvette quant à l'hôtesse de l'air qui suivait le mouvement, c'est dans la merde que se retrouve son nez.
Une odeur nauséabonde se repend dans les rangées de sièges, envahit l'appareil jusqu'a la cabine de pilotage.
La puanteur est telle que les passagers les plus proches des toilettes sont pris de vomissement, certains toussent, d'autres même se plaignent d'irritations oculaire.
Ce sont là, tous les symptômes dont souffriraient les victimes d'une arme bactériologique.
Le capitaine de bord et son copilote tout deux enfermés dans leurs cabines, à l'abri du miasme, demandent par message radio à effectuer un demi-tour ou un atterrissage forcé.
Ils enclenchent alors la procédure d'urgence et le font savoir par une annonce.
Les masques à oxygène tombent du plafond au grand soulagement des passagers qui pour la plupart sont en apnée partielle depuis quelques minutes.

Retrouvons maintenant notre hôtesse où nous l'avons laissé, cet à dire : dans la merde.
Littéralement couverte de matière fécale, que ce soit sur son visage (taches qui lui font une sorte de peinture camouflage), dans sa chevelure blonde et son chemisier blanc.
Assise sur ses fesses, clouées au sol par les manoeuvres de l'avion, elle tente de se relever pour empêcher le terroriste tente d'actionner l'issue de secours.
Inarrêtable, pantalon sur les jambes et départi de toute forme de dignité, il a rendez-vous avec ça destiné.
Au travers du hublot de cette porte toute blanche en plastique, il voit un ciel bleu ensoleillé, maculé de nuages blancs, paisible. 
Sans aucun doute, il y croit, c'est la porte du paradis, il ne lui reste plus qu'à l'ouvrir.
Mais quand il essaie, qu'il se saisit de la poignée, qu'il pousse et tire de toutes ses forces, rien n'y fait.
Il lance un regard circulaire mêlé d'incompréhension et de détresse que lui rendent les autres passagers.
Doit-il le prendre comme un signe du divin? 
C'est toujours humiliant de se faire refouler par son propre dieu, encore plus quand c'est devant des inconnus.
Maintenant, vers qui va-t-il se tourner alors que le tout puissant semble l'ignorer? 
Lorsque la foule en colère s'apprête à le lapider, les médias à le lyncher, sa famille le renier, ses semblables le glorifier, ses commanditaires le revendiquer.
Son plan a finalement fonctionné, pas comme il l'espérait, mais l'essentiel c'est que le résultat soit là. Lui qui souhaitait mourir en martyr.
Peut-être que le pire pour notre terroriste serait de se faire juger par la justice des hommes, lui qui ne jure que par la charia, la loi religieuse.

Et ce qui devait arriver arriva, notre aspirant djihadiste se fait agripper, trainer en arrière par une multitude de mains anonymes.
Pleuvant sur lui comme autant de coups de poing, elles l'écartèlent, se l'arrachent littéralement.
Il se débat impuissant, ainsi ligoté dans une camisole de fortune confectionné avec sa djellaba.
Étouffé par son petit livre sacré enfoncé dans la bouche jusqu'à pratiquement atteindre sa gorge, il suffoque à chaque fois qu'il avale sa salive, le papier venant se coller à son palais.
Dans la cohue, il entend vaguement parmi le flot d'insultes l'un des passagers proposer de "l'éjecter de l'avion, par-dessus bord, puisque c'est ça qu'il veut".
À un autre de répondre :"Non, nous allons le livrer à la police, mais avant cela, rien ne nous empêche de le faire souffrir un peu!"
Et pour la première fois depuis bien longtemps, depuis la dernière coupe du monde peut être, LGBTQ, juifs, handicapés, chrétiens, africains, asiatiques bref quasiment toutes les communautés mettent de coté leurs victimisations revendicatives.

L'avion atterrit, mais reste sur le tarmac sans qu'une passerelle télescopique ou un escalier mobile viennent à son encontre.
Depuis les hublots de l'avion, les passagers observent et s'interrogent.
Certains commencent à s'impatienter, pressent le personnel de bords de déclencher les toboggans de secours.
Finalement, une unité spéciale de la police est dépêchée, fusil d'assaut et combinaison NRBC.
Il est demandé aux voyageurs de rester à leurs places et de ne pas tenter de quitter l'appareil pendant l'intervention des forces de l'ordre.
L'opération de police tourne court quand ils découvrent notre islamiste malchanceux saucissonné dans ses propres vêtements et en larmes avec son livre saint en guise de bâillon.

La suite vous la connaissez, les journalistes se pressent pour la moindre déclaration, les politiques s'empressent de faire de la récupération et les avocats à l'éthique douteuse se battent pour le défendre.
Évidemment lorsqu’il est interrogé en présence de ce dernier : il ne sait rien ou ne se rappele pas bien. 
Au contraire, si vous l'écoutez, c'est lui la vraie victime de cette triste histoire, victime du racisme et de l'islamophobie ambiante post attentats, mais aussi de la société et dans ce cas bien précis de l'hystérie collective des autres passagers de l'avion.
Le fameux argumentaire du "c'est pas moi, c'est les autres!"
Amnésique ou déséquilibré? Ce sera aux experts sinon aux juges et aux jurés de la cour d'assises de statuer.
Parce que l'impertinence et l'impudence dans un tribunal français sont bien souvent de connivence et les lois en faveur de la délinquance, c'est tout naturellement qu'ils axent sa défense comme étant une série d'incidents inopportuns voir mal interprétés.
Contre toute vraisemblance et en dépit du bon sens comme ce fut le cas tout au long de l'audience, il explique à la cour qu'il a simplement voulu ouvrir la porte de secours pour aérer la mauvaise odeur qu'il avait lui même causé.
Et malgré toutes les incohérences de son récit, coup de théâtre et de maître, il écope d'un verdict sans sentence puisqu’il est acquitté.
Sur les conseils de son avocat, il décide même de poursuivre la compagnie aérienne pour le préjudice et finit par obtenir gain de cause.
Un joli pactole avec lequel il aura loisir de s'acheter ce qu'il souhaite depuis le début : une île paradisiaque et 72 vierges voilées. 

Le tableau est presque parfait, mais peut être trop justement. 
Alors qu'il est avec son harem, rassemblé autour de lui, le couvrant d'attentions diverses, de baisers et de caresses, il ne peut s'empecher de s'autoflageller.
Pour la première fois, il est en proie au doute, tourmenté, obsédé par de nouvelles questions existentielles : "S’il copule avec elles, elles ne seront plus vierges? 
L'exciteront-elles toujours après ça? Où deviendront-elles impures? Est-il vrai qu'au paradis elles redeviennent systématiquement vierges?"
Lui revient alors une phrase vue dans une émission de télé-réalité au nom plus qu'à propos "l'île de la tentation" qui finit de l'autopersuader.
Bien qu'il soit passablement convaincu par toutes les excuses qu'il s'est inventé, il est quoi qu'il en soit trop tenté pour résister plus longtemps.
Il essaie de lover sa tête dans le corsage généreux de certaines, parfois entre leurs jambes, mais se fait repousser à chaque fois par un gloussement juvénile.
En cercle au-dessus de notre nabab, elles se jouent de lui.

Au bout de plusieurs fois, agacé, il utilise la force, contraint à l'acte l'une d'entre elles qui finit par le laisser soulever son jilbab, sa soutane islamique.
Et lorsqu’il enfouit sa tête sous le tissu opaque et épais, il n'en croit pas ses yeux.
Paniqué, il tente de se dépêtrer du piège dans lequel il s'est fourré.
Quand il revient enfin à l'air libre il fait face à ses 72 verges qui l'entourent avec leurs pénis turgescents, pointant et menaçant comme autant de poings vengeurs prêts à en découdre.
Toujours à genoux, en contre plongée, sa vision se déforme.
Les silhouettes féminines se transforment jusqu'à devenir plus imposantes, leurs visages sont également dissimulés, mais cette fois par des cagoules.
C'est les membres du groupe d'intervention de la police qui agitent leurs matraques phalliquement devant sa tête.

Ce rêve qui tourne au cauchemar, véritable cruauté divine, n'est ce pas la pire des sentences?
Mais comme je vous le disais, il y a d'abord la justice des hommes, et c'est cela qui l'a conduit en détention provisoire, en attente de son jugement dernier.
Là haut, à 10 000 pieds, dans l'avion il était littéralement aux portes de secours du paradis et maintenant il a atterri dans ce qui s'apparenterait à la douane des enfers.
Une sorte de purgatoire pour expier les âmes souillées, mais pas trop, celles des aspirants terroristes et autres meurtriers qui n'ont pas réussirent leurs coups.
C'est donc là, dans cette geôle tout comfort (télévision avec ps4, réchaud à gaz, couchette simple, narguilé et aussi un poster de Mia Khalifa toute nue mais voilée) qu'il se réveille en sueur avec d'abord un sentiment d'effroi puis de réconfort.
Transpirant, mais bien vivant, il se sent presque béni.
Quand la porte de sa cellule se déverrouille puis s'entrouvre, il réalise que c'est l'heure de la douche et s'en réjouit. Il s'imagine qu'il va pouvoir laver son âme de ses pêchés.
Le gardien l'escorte jusqu'à l'entrée de la salle d'eau sous les regards amusés des autres détenus.
À l'intérieur de cette grande salle carrelée et remplie d'une épaisse buée, il se déshabille puis commence à se rincer.
Recherchant à tâtons la savonnette égarée, il sent la présence inquiétante d'autres prisonniers.
Et soudain apparait à travers le nuage de vapeur d'énormes phallus noir et veineux prêts lui faire regretter d'avoir échoué, ici-bas.