Femme Fatale
C'est d'ailleurs encore à cause de
cette question que je me suis retrouvée dans une chambre d'hôtel...
L'homme qui est allongé sur le lit m'a
gentiment glissé du GHB dans mon verre
avec la complicité du barman.
Ce qu'il ne savait pas c'est que je
l’avais vu arriver
de loin et en toute connaissance de cause j'ai échangé les verres
avant de trinquer avec lui. Je crois que ça l'a un peu déstabilisé
sur le moment, pour ne pas dire complètement décontenancé, le
pauvre garçon.
Vous savez ce qu'on dit "Les
hommes proposent, les femmes disposent" et c'est bien mon cas,
je choisis toujours ma cible, c'est moi qui
chasse, je suis la prédatrice.
Tiens, tiens
qu'est-ce que ce sera ce soir ? Je
m'interroge en me peignant, basculant ma chevelure dans un
sens puis dans l'autre.
Un homme marié, père de famille,
politique, avocat, un pompier ou même un écrivain pourquoi pas, on
verra. Toutes classes, tous profils confondus.
Ils me méritent tous, me désirent tous.
Très jeune déjà, les hommes disaient
de moi que plus tard je deviendrais une bombe humaine.
Sans aucun doute que c'était ma
couleur de cheveux qui leur faisait dire ça.
C'est bien connu, les hommes préfèrent
les blondes.
Je n'ai jamais
vraiment compris, comment le simple fait d’être blonde exerce un
tel magnétisme sur la gente masculine.
Peut-être que cela leur évoque la
pureté ou bien le contraire, est-ce l'ambivalence de l’innocence
et la perversion que l'on y prête dans les films pour adultes.
Quand on regarde en arrière - c'est ce
qu'ils font toujours sur mon passage - dans les mythes de
l'antiquité Vénus la déesse de l’amour était elle-même blonde.
Si on ajoute à cela ma poitrine
généreuse que j'ajuste à travers mon soutien-gorge,
j'incarne pour certains un symbole
maternel, celui de la mère nourricière et rassurante. Tous autant
qu'ils sont, descendants d’œdipe.
Il est bientôt temps pour moi de
quitter la chambre, j'enfile ma robe, le tissu glissant sur mon corps
comme des draps de soie.
J'aime cette robe, avec son rouge sang
et son croisé dans le dos, c'est drôle en la regardant à présent
elle me fait penser au ruban du sidaction. Avec elle, tous
les regards vont dans ma direction, toutes ces
érections à mon intention.
Pourquoi le rouge attire
plus les hommes ? Les fait bander
comme des taureaux dans une arène. Parce que ça leur rappelle le
cul tumescent, cambré d'une guenon en rut ? Ou simplement le
rougeoiement de l'intérieur d'un corps humain et de son bouton de
rose.
Inconsciemment c'est le brainstorming
de l'instinct sexuel, le big bande, le gyrophare rouge qui s'allume
dans leur esprit et qui s'assimile aux
lanternes des maisons closes, la couleur de la Saint-Valentin...tout
se chamboule dans leurs esprits par la seule présence de rouge à
lèvres sur les miennes.
Une dernière petite retouche
maquillage et puis s'en va, sur la pointe des pieds, mes talons à la
main.
Habituellement c'est eux qui quittent
la chambre silencieusement aux premières lueurs du jour, sans un
mot, laissant parfois sur la table juste de quoi payer un taxi.
Avec moi c'est tout l'inverse, et ça
les énerve quand ils se réveillent tôt
pensant me faire le coup et qu'ils se rendent compte
que je les ai déjà devancés.
Le lit vide et froid de l'autre coté,
se lève pour pisser et alors découvre inscrit au rouge à lèvres
sur le miroir de la salle de bain que j'ai toujours le dernier mot,
le mot de la fin. "Bienvenue au Club".
Ce qui m'a poussée
à devenir ce que je suis aujourd'hui. Non, ce n'est pas qu'un
chagrin d'amour c'est bien plus que ça.
Cela faisait deux semestres que l’on
s’échangeait des regards furtifs dans l’amphithéâtre.
Il se mettait toujours derrière moi. Sans aucun doute, placé à cet
endroit pour mater mes fesses. Et pour son plus grand plaisir, je
faisais dépasser mon string de ma jupe. S'il s'était mis devant
moi, qui sait j'aurais peut être enlevé
ma culotte.
Oh, vous devez penser que je suis une
sacrée salope et vous avez tord.
Ce n'est pas parce que j'aime m'amuser
que je suis une traînée. Pour beaucoup de mecs, une fille qui aime
le sexe est forcément une fille qui ne se
respecte pas, je ne suis pas d'accord...et puis vous êtes bien
contents de tomber sur moi pour tromper
votre copine.
J'avais demandé à une de mes amies de
me le présenter, à l'époque j'étais comment dire, non pas timide
mais plus introvertie que je ne le suis
maintenant.
Il s'appelait Adis, étudiant espagnol
d'un programme Erasmus. Avec un de ces charmes et un regard
ténébreux...Hum.
Lorsque l'on a enfin fait connaissance
si je puis dire, il connaissait déjà mon nom et je compris qu'il
s'était lui aussi renseigné sur moi.
C'était à la fois gênant et
troublant, la surprise m'avait coupé tout
élan et j'avais l'impression d’être ivre, à glousser pour rien à
chacun de ses mots.
Avec le recul je m'en veux tellement
d'avoir était si naïve.
En quelques jours à se parler au
téléphone, à échanger SMS, MMS, photo Snapchat...j'ai rapidement
eu l'impression que l'on se connaissait depuis
toujours et c'était là ma première erreur car ma seconde était de
répondre à son invitation. Le rejoindre à une soirée organisée
par Anthony, un mec de 2ème
année pour la veille des vacances.
Je ne fais pas ça pour l'argent mais
pour le plaisir.
Et c'est pour cette même raison que je
fais le tour des casernes de militaires,
bains douches, vestiaires de foot, basket,
rugby et tous les sports collectifs connus ou pratiqués. Tout ce qui
pue le mâle et la camaraderie.
Je ne suis pas ce que l'on appelle une
groupie, ni même supportrice mais je me considère
plus comme une sorte de membre du staff technique. C'est
l’entraîneur qui m'a fait rentrer dans
les vestiaires. Quoi qu'il en soit aujourd'hui la biscotte, c'est
moi.
A genoux devant eux, le capitaine me
met une claque sur les fesses et s'installe sur moi.
L'un de ses coéquipiers vient le
coiffer d'un chapeau de cowboy et crie aux
autres "sex rodeo" en leur tapant dans les mains, hilare.
Je comprends qu'ils me font le coup du
taureau enragé quand il se penche sur moi et s’exécute.
Sa poitrine collée contre mon dos il
m'enserre fermement avec ses bras et me susurre
alors avec douceur "J'ai le sida chérie".
A la surprise générale j'éclate en
fou rire, tout en accélérant le mouvement de mes hanches.
Je le sens qui débande carrément, sa
respiration dans mon cou se fait plus lourde, il se demande sûrement
ce qui cloche.
L'entraîneur arrête son chrono,
procède à un changement tactique, remplace le capitaine qui donne
son brassard.
Il fait rentrer un nouveau joueur,
celui-ci me pilonne l'anus férocement, la tête enfouie dans un sac
de sport plein d'affaires sales
je commence à jouir sans retenue.
Quand je relève la tête pour respirer
je surprends l'un d'entre eux en train de
filmer la scène avec son téléphone. Sur le coup, je le vois
qui hésite à le ranger mais quand il m’aperçoit faire un
clin d’œil à la camera il comprend qu'il peut continuer à filmer
sa propre mort. Ce qu'il prend pour une sex-tape n'est rien d'autre
qu'un snuff film dont il est le premier rôle, la victime.
L’entraîneur qui
regardait jusque-là, s'approche de moi et
me demande "finis-moi" ce que je
fais à coups de langue.
La soirée se passait dans une de ces
grandes villas résidentielles,
comme il y en a plein la banlieue Parisienne.
Évidemment la musique était à fond
je pouvais l'entendre de la rue, c'est comme ça que j'avais trouvé
le grand portail noir.
Sur la terrasse surplombant le jardin,
une bande de garçon faisait
une partie de beer pong.
A l’intérieur un DJ passait de la
minimal quelconque, quand je suis passée dans le salon une fille en
a embrassé une autre selon les règles du jeu de la bouteille.
En traversant le couloir, je pouvais
voir que chaque pièce était remplie
d'étudiants, certains que j'avais déjà entraperçu à la fac,
d'autres dont les visages m'étaient inconnus.
Alors que je demandais à une fille de
ma promo si elle savait ou était Adis, j'ai manqué de me faire
renverser un verre sur mon décolleté par un mec complétement
bourré.
Dans le brouhaha environnant de la
musique et des gens bourrés elle m'a répondu qu'elle ne connaissait
pas de Adis.
Quelqu'un me tapa l'épaule, je pensais
que c'était un relou qui voulait me draguer (du moins tenter sa
chance) et en me retournant je vis Adis, tout sourire se pencher vers
moi pour me faire la bise.
Très vite gênée
par le bruit pour discuter, nous sommes montés dans une
chambre à l'étage.
Là nous avons fermé la porte, assis
sur le lit, il a sorti un petit sachet disant que c'était de la coke
et m'a demandé si j'avais un miroir dans mon sac que je lui ai
donné.
Jamais 2 sans 3 comme on dit, cette
fois j'ai fait l'erreur de prendre de la drogue.
A ce moment-là ,
je ne pouvais me douter que l'on allait
partager beaucoup plus qu'un gramme de cocaïne, que nos destins
seraient liés à la vie à la mort.
Il a roulé un billet de 20 et me l'a
tendu pour que je sniffe avec, ce que j'ai
fait.
J'avais un peu de poudre sur le sillon
au dessous de mon nez, il l'a essuyé avec son index en me disant "on
appelle ça le doigt de l'ange" puis m'a embrassée.
Nous avons basculé en arrière
et tout a basculé à ce moment, ma vie entière.
Allongés sur ce lit,
on s'est déshabillé tout en se
touchant l'un l'autre.
Ça a tapé à la porte, ça chahutait
dans le couloir, vous savez ce que c'est quand deux personnes se
mettent à l'écart dans une chambre pendant une fête.
Et après ça je ne me rappelle de
rien, blackout total. A mon réveil, j’étais toujours dans la même
chambre mais pas avec les mêmes personnes, oui, j'étais avec trois
garçons nus, endormis à coté de moi dont un sur un siège le
pantalon sur les genoux.
En me relevant, je fus frappée de vive
douleur partout sur le corps et d'une grosse migraine, la pire gueule
de bois de ma vie.
Ce n'est qu'une fois chez moi, aux
toilettes quand j'ai vu dans mon urine du sang et des coulures
de sperme que j'ai commencé à m’inquiéter. Ce n'était pas des
pertes blanches.
Je le savais déjà, mon organisme ne
pouvait pas repousser de cette manière le
virus comme il le ferait avec une mycose.
A l'époque j'aurais peut être pu
éviter la contamination, aller à l’hôpital demander un
traitement d'urgence mais je n'en avais pas connaissance. Toute
cette soirée me semblait trop irréaliste, comme un mauvais
rêve duquel on vient de se réveiller en espérant se rendormir pour
l'oublier.
Un des mecs assis autour
de moi, Tony tousse à plusieurs reprises, m’interrompant
presque dans mon récit.
Je ne peux pas lui en vouloir, il vient
de passer en phase terminale, son système immunitaire l'a abandonné
tout comme sa famille, son avenir et tout espoir.
Parfois je me demande pourquoi je
raconte tout ça ici, à ces gens, peut-être parce que je sais que
quelque part ils me comprennent, ne me
jugent pas comme le feraient les "normaux", les
séronégatifs.
Là, tous réunis à se présenter tour
à tour, raconter nos histoires comme un groupe de discussions
dans un roman de Chuck Palahniuk.
Sauf un homme en imper et chapeau noir
qui nous écoute en retrait, debout, au
fond de la salle dans la semi-obscurité.
Certainement un futur membre du club
qui n'ose pas encore se joindre à nous.
Quelqu'un d'autre prend la parole et
Tony, mi-homme mi-girafe avec sa peau tachetée de
verrues noires
par le sarcome de Kaposi l'interrompt à nouveau en s'étouffant
presque.
La séance touche à sa fin, en sortant
l'homme qui nous observait m’adresse un regard à mon passage.
Ainsi, habillé, il me fait penser à un majordome.
Dehors en attendant le bus sous l’abri
prévu à cet effet, voilà qu'il vient à ma rencontre.
"Mademoiselle, voici une
invitation à une réception que mon employeur organise, vous devriez
venir, c'est très bien rémunéré." dit-il en me tendant une
enveloppe qu'il a sorti de sa poche intérieure avant de regagner la
voiture aux vitres teintées qui l'attend
le moteur allumé.
J'ouvre l’enveloppe
et découvre une petite carte avec seulement une date, une
heure et une adresse inscrite dessus. Énigmatique.
Il s'installe à l'avant, assis sur le
siège passager et referme la portière, je frappe à la vitre qu'il
ouvre avec une expression malicieuse attendant ma question.
"Pourquoi, moi ?"
"Mademoiselle, vous correspondez
aux critères physique désirés par mon employeur et ses riches
amis".
Le véhicule démarre sous la pluie
battante, s'éloigne au loin dans la brume nocturne.
Les dernier mots prononcés par le
majordome résonne dans mon esprit et me font comprendre la raison
pour laquelle son choix s'est porté sur moi et non quelqu'un d'autre
du groupe : je suis un porteur sain, d'apparence désirable.
Pendant plusieurs semaines je n'ai plus
eu de nouvelles de lui, pas un SMS, ou un Snap, rien. C'était plutôt
logique, les vacances de fin d'année tout le monde retourne en
famille, la sienne étant à l'étranger cela faisait sens.
Rien qu'a l'idée de le recroiser à la
fac je sentais la honte gronder dans mon ventre mais j'avais besoin
de savoir, qu'il me raconte ce qui s'était passé quand j'ai perdu
connaissance. Chacun de mes appels restait sans
réponse, les messages sur Facebook marqués
comme lus, il m'évitait.
Et bien que je m’efforçais de ne pas
m’inquiéter, peu à peu des bribes de souvenirs me revenaient.
A la reprise des cours, j'ai su qu'il
ne reviendrait pas et je n'eus plus de
nouvelles de lui jusqu’à ce que je reçoive un e-mail de sa part,
ce fameux jour où j'ai perdu foi en
l'humanité.
Sa lettre de suicide informatisé où
il m'expliquait qu'il était désolé de m'avoir infligé ça et
qu'il était rongé de remord.
Dans laquelle il me racontait en détail
comment il avait contracté la maladie et pourquoi il s'était servi
de moi selon ses termes "comme d'une arme à destination"
en me donnant à sniffer de l'héroïne à la
place de la cocaïne me laissant à la merci des mecs bourrés
de la soirée.
Tout ça dans le seul but de se venger,
de tout et tout le monde.
A la lecture de ces mots je me suis
jurée de ne plus jamais accorder
ma confiance aux hommes, tous autant qu'ils sont.
Je suis là au lieu
et heure du rendez-vous fixé sur la carte. Vêtue d'une robe
blanche, avec mes longs cheveux blonds je
ressemble à un ange, un ange de la mort.
Comme je l'ai déjà dit, je fais
ça pour le plaisir...de me venger. Je n'ai plus rien à
perdre maintenant mais si je peux y gagner un peu d'argent je
ne dis pas non. Après tout je suis toujours étudiante.
Une voiture noire s'approche du
trottoir ou je me tiens, la portière
arrière droite s'ouvre et j'entre dans le véhicule.
Les vitres teintées
sont tellement sombres que je ne
peux pas voir à travers durant tout le trajet.
Soudain le véhicule s’arrête, et si
j'en crois les remous de la voiture nous roulons sur un chemin de
gravier.
Le chauffeur sort pour m'ouvrir la
porte de la voiture et j’aperçois en levant la tête le majordome,
l'homme que j'ai rencontré l'autre jour m'attend sur le perron de la
porte.
Il me salue, me
précise que j'étais très attendue, que
ces messieurs sont très excités par ma
venue et me demande de le suivre.
J'avance à ses côtés
dans la demeure, guidée par les
spots de lumières au plafond.
Deux hommes à la carrure de vigile de
supermarché nous ouvrent la double porte qui donne
sur un grand salon rempli de canapés et
de lampes.
Le majordome, récupère mon manteau et
mon sac puis d'un geste de la main m'invite à avancer vers les
hommes assis en train de fumer leurs cigares.
Ils semblent tous d'âges
différents mais ont résolument passé la cinquantaine.
D'autres filles sont présentes aussi, l'une d'elle se déshabille et
se frotte sur un vieil homme en fauteuil
roulant.
Ils m'entourent et sans même connaitre
mon nom ils me chuchotent une question "depuis quand je suis
contaminée?".
A sentir leurs érections sur mes
jambes et mes fesses je comprends ce qui les excite,
ces riches veulent expérimenter le grand frisson, frôler la mort
par le plaisir charnel avec des jeunes femmes séropositives.
Leur instinct de
mort est exacerbé mais le risque reste
mesuré, malgré le fait qu'ils
ne mettent pas de préservatif il y a un médecin avec des
traitements infectieux d'urgence qui assiste à la scène.
Le plus jeune de ces
hommes me palpe le sein, me regarde en demandant s'il peut le lécher
et je lui réponds d'une carresse
maternelle sur le haut de la tête.
A peine trois heures après, nous
sommes congédiés par le majordome, la
levrette russe ne se joue pas plus d'une fois généralement.
Un domestique me rend mon manteau et
mon sac dans lequel il y glisse une enveloppe puis m'escorte jusqu'à
l'extérieur où une voiture m'attend.
Assise sur une chaise dans cette
antichambre à attendre que quelqu'un vienne nous chercher pour
traverser le couloir de la mort.
Ce qui nous attendait n'était pas une
injection qui nous prélèvera la vie, non, seulement un peu de notre
sang.
Je feuilletais des brochures posées
sur la table, l'une d'elle était quand même pour le don du
sang.
Pour la première fois depuis des
semaines je souriais en pensant que mon groupe sanguin était O+,
donneur universel.
Si le sang n'était pas vérifié ça
aurait été une bonne idée, en tout cas meilleure que celle de
mettre des aiguilles infectées dans les
sièges d'un cinéma.
Deux sièges plus loin, un homme, la
quarantaine, sifflotait en se recoiffant
puis porta son regard sur moi et me sourit.
Je me rappelle avoir vu un couple
ressortir main dans la main et ça m'avait tellement écœurée
que je n'avais pu réprimer mes pleurs.
L'homme s'approcha de moi pour me
tendre un mouchoir et remit une mèche de mes cheveux derrière
l'oreille.
Il me murmura « ça
va aller » puis une fois
calmée, je me redressais et levais
les yeux vers lui en le remerciant le nez dans mon mouchoir.
En réponse il balaya l'air d'un geste
de la main avant de me dire "Moi, c'est Tony". Les
présentations faites, je lui demandais comment il faisait pour
prendre la chose aussi bien, sans stress et il me raconta qu'il en
avait marre de vivre avec une épée de
Damoclès arc en ciel au-dessus de la tête.
Pétrifié de
contracter le sida à chaque fois qu'il
avait un rapport sexuel, il participa à sa première slaming party,
ces grandes orgies marathon ou des centaines d'hommes baisent sous
méphédrone.
Il ne voulait plus plus vivre dans la
peur. Être libéré, ne plus avoir à y penser. Pour cela il lui
fallait affronté sa peur d’être contaminé une bonne fois pour
toute.
Sa vision des choses m'inspira la
mienne, celle qui me pousse à aller de
l'avant, à ne pas me laisser abattre me
donner envie de me battre à ma façon.
Non-violente, c'est mon côté
peace and love, même si les hippies ne sont pas vraiment le
bon exemple puisqu'il se sont décimés
comme ça.
On pourrait aussi dire que si j’étais
indienne je serais l’alter ego de Gandhi, pacifiste à l’extrême
je ferais un sitting une bite dans chaque trou comme un fakir du cul.
Dans le petit miroir à main, je vois
mes joues noircies par mes larmes.
Je sors ma trousse à maquillage de mon
sac, remet un peu de crayon, d'eye-liner et
de fond de teint.
A présent, sous ces peintures de
guerre je dissimulerai mes peurs et de ma
beauté je ferai une arme.
Un médecin vint au pas de la porte,
l'homme à coté de moi, Tony se leva et le suivit.
Je ne savais à ce moment que l'on se
reverrait un jour...au groupe de
discussion.
Je ne crains pas que l'on m’arrête,
ou m'accuse de tuer tous ces gens. Moi je n'ai violé personne,
drogué personne, je ne propose même pas,
je dispose et ma seule exigence c'est de le faire sans préservatif.
Mais bien souvent, je n'ai pas besoin
de le dire ils le comprennent d’eux-mêmes.
Ce soir, pour rentrer
chez moi je décide d'emprunter un autre chemin,
habituellement je ne serais pas passé par la cité et ses allées
mal éclairées.
Sur mon passage j’entends
des sifflements par une bande qui traîne
devant un immeuble. Le harcèlement de rue au service de la
misère sexuelle.
L'un d'eux en sweat à capuche
s'approche, en me traitant de pute, la classe à l'état brut.
Je ne réponds pas et continue mon
chemin.
Généralement ça les rend
fou quand je me dandine en me mordillant la lèvre
inférieure, les défiant du regard,
à qui me ramènera chez lui, le virus
dans son foyer, pour moi un nouveau foyer infectieux.
Quant à eux, ils semblent plus dans
l'esprit communautaire, de la culture du partage et de la tournante.
Après tout si il y en a pour un il
y en a pour six.
J’accélère le pas, franchis
un petit passage étroit quand je reçois
un crachat dans les cheveux.
Quand je me retourne ils sont tous là
à m’entourer, me toucher, avide, la bave
aux lèvres comme les chiens qu'ils sont.
Et bien que je me laisse faire, c'est
plus fort qu'eux ils ont ce besoin de me frapper.
Ils m'entrainent avec eux, à l'écart
de tout regard, dans les caves, là où personne
ne viendra me chercher quand ils en auront fini avec moi.
A ce moment même je sais que je vais
mourir.
Mes vêtements arrachés, à genoux et
une lèvre tuméfiée, j'ouvre la bouche
pour accueillir leurs sexes, comme je le ferais
avec un revolver six-coups pour me suicider.
Et je les suce
goulument, avec une ardeur telle que ça n'a même pas l'air
de les inquiéter et pourtant ils devraient. Ils ne savent pas qui
est du bon côté de l'arme.
Une racaille me prend par les cheveux
et pousse sa bite au plus profond de ma gorge en appuyant sur ma
tête.
L'éclairage à minuterie s'éteint et
j'en profite pour cracher le sang qui boue
au fond de ma bouche sur leurs bites. Et ça les excite.
On rallume la lumière, les ombres de
mes agresseurs dansent sur les murs, je
sens l'un d'eux passer derrière moi.
Il me tire la tête en arrière et me
lèche l'oreille puis relâche ma nuque (sa prise) pour mieux
refermer son étreinte.
La pénétration est difficile, ça
fait mal, et je ne peux
même pas serrer les dents pour affronter la douleur
puisqu’ils m'obligent à les sucer.
Pendant de longues
minutes le mouvement s’accélère jusqu’à ralentir où
ils finissent par rependre le venin de leurs verges.
Alors que je commence à reprendre ma
respiration une pluie de coups s’abat sur
moi.
Celui qui était en moi, sort un
couteau qu'il tend au plus jeune en lui ordonnant "finis-la".
Dans ces termes, je comprends
bien qu' il n'est pas question de sexe mais de meurtre.
Il se penche sur moi et m’exécute.
La lame tranche, pénètre l’épiderme,
en plusieurs endroits, un peu plus profond à chaque coup,
un peu moins rapide au bout d'un temps.
Je sens la vie me quitter, la fin du
calvaire, l’hémorragie.
Me vidant de mon sang, tout ce sang
venimeux qui se répand sur le sol de ces caves comme un fleuve, une
dernière pensée me traverse. Et que coule la haine.