dimanche 27 septembre 2015

Immortel


 Immortel


"Il n'y a pas de chance, il n'y a que des opportunités à saisir". Je ne me rappelle plus qui disait ça, si vous le savez faites le moi savoir que je lève mon cul de ce lit d’hôpital pour lui en coller une. Car si c'était effectivement le cas je ne serais pas ici pour en parler. Comment j'en suis arrivé la ?! parfois je me le demande. Si je devais le raconter, ce serait à la manière d'une mauvaise blague.

- scénario improbable numéro 1 :
 
Vous êtes dans le sous-sol de votre maison, en train de bricoler le compteur électrique et vous coupez le mauvais fil.

Pas de bol, 1 chance sur 126 de mourir par électrocution et me revoilà, de retour dans cette chambre verte et blanche.
Ces choses là arrivent à tout le monde, tous les jours. Dites vous que ça aurait pu être pire, ça peut toujours l’être... Prenez mon voisin de chambre, là allongé sur le lit, qui me sourit bêtement.

- scénario improbable numéro 2 :
Vous vous baladez et le temps se couvre rapidement. Pris dans l'averse vous vous précipitez sous le seul arbre que vous voyez pour vous mettre à l’abri...


...Enfin je suppose que ça c'est ce qu'il pensait sur le moment, jusqu’à ce que la foudre le frappe et dresse des cheveux blancs sur sa tête, lui faisant paraître vingt ans de plus. D'ailleurs elle n'a pas fait que des dégâts physiques, elle a aussi grillé son psychisme, l'a carrément abruti même, résultat quand Flash - c'est son surnom  - ouvre la bouche, on lui en donne vingt ans de moins.
Savait-il seulement de combien étaient ses chances de se faire foudroyer ? Que celles-ci étaient de 1 pour 158 ?
Bien sûr, les optimistes vous répondront que sur l'échelle de la mortalité le risque est moindre. Ce qui n'est pas complètement faux, si on ne tient pas compte de certains cas où des personnes en sont victimes plusieurs fois au cours de leur vie.
Cependant quand on sait que les chances de mourir sont de 1 sur 1, et que chaques jours 155 000 personnes sont concernées, les choses vous apparaissent différemment.
AAAAAAhhhh!!! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAhh!!!!
Ca c'est "Freddy" que l'on entend à travers la cloison, "Freddy" - on le surnomme comme ça car sa peau ressemble à celle du personnage de films d'horreur - qui hurle une fois de plus parce qu'il a croisé son reflet de grand brûlé dans une quelconque paroi vitrifiée de l’hôpital.

- scénario improbable numéro 3 :

Ivre, vous loupez le goulot avec votre bouche et renversez le tiers de la bouteille sur vos vêtements.
Après quoi pour faire marrer vos potes vous vous lancez dans un numéro de cirque : le cracheur de feu par les fesses, en enflammant vos flatulences. Naturellement, votre pet prend feu mais pas seulement - les chances que cela vous arrive étant de 1/1419 vous ne pouviez vous y attendre - la situation devient incontrôlable et vous ne le réalisez que trop tard. Vous devenez une torche humaine.

Dans le couloir "Shannon" nous attend en prenant son déjeuner - si j'en crois les bruits que fait la paille quand elle aspire dedans - sous son voile cachant la partie manquante de sa mâchoire.

- scénario improbable numéro 4 :
Vous trouvez un revolver, sans même savoir s'il est chargé ou non (vous ignorez comment le vérifier) vous vous amusez à faire une roulette russe improvisée avec vos amis, à poser avec l'arme pour immortaliser le moment et partager la vidéo sur les réseaux sociaux. Le revolver contre la tempe, la joue, le menton, dans la bouche et d'un coup un grand bruit sourd. La chance que cela vous arrive 1 sur 340.

Avec "Flash" mon coloc, je salue de ma main gauche - celle qui n'a plus que trois doigts - Shannon et "Freddy" qui vient tout juste de nous rejoindre.
Parfois un simple geste suffit à vous rappeler un évènement marquant, combien vous êtes différents depuis. La vie est impitoyable.

- scénario improbable numéro 5 :
Vous jouez avec un couteau de cuisine à frapper chaque espace entre vos doigts - comme dans cette fameuse scène que vous avez vue maintes fois dans "Alien" de James Cameron - accélérant progressivement le mouvement, jusqu'à vous trancher l'index. Avec votre main droite, à essayer d’arrêter l’hémorragie, vous composez de l'autre - celle qui ressemble maintenant à celle de ET, l'extra-terrestre - le numéro des urgences sur le téléphone de la maison. Chance que ça vous arrive aussi : 1 sur 106.

Maintenant vous savez comment je me suis retrouvé pour la première fois dans cet hôpital, je veux dire bien avant de revenir ici à cause de l’électrocution.
Nous nous dirigeons vers la salle de réunion de l’hôpital pour notre petite séance de discussion habituelle, derrière nous un léger grincement métallique annonce l'arrivée imminente de "Julio" (à prononcer à l'espagnole, le "j" devient un "r") dans sa chaise roulante.

- scénario improbable numéro 6 :  
Vous êtes en maillot sur le haut d'une falaise en plein après-midi d'été. Vous vous élancez pour plonger dans l'eau, mais une fois de plus rien ne se passe comme prévu (mourir en sautant 1 chance sur 158). C'est alors que vous manquez de vous noyer (1 chance sur 1112), secouru par des inconnus qui n'ont aucune qualité en secourisme autre que leurs bonnes intentions.

Certains d'entre nous ont plus de chance que d'autres, j'aurais pu finir comme notre ami "Julio". Un accident est vite arrivé. Au moment où vous vous pensez sauvés, tout peut basculer.

- scénario improbable numéro 7 :

Sur le chemin de l’hôpital, l'ambulance se fait percuter par un 38 tonnes. Pas de chance, il y avait pourtant 1 chance sur 85, dont 1 sur 272 en tant que passager et 1 sur 623 si vous étiez piétons. Dieu n'est qu'une statistique.

Nous rentrons dans la salle de conférence, ou Jack et son écharpe dont il ne semble jamais se dévêtir été comme hiver - prend-il sa douche avec ? - pour cacher l’énorme cicatrice qui marque son cou de part en part nous attend.
Il se redresse, pose son livre "Le club du suicide" de Robert Louis Stevenson sur sa cuisse et dit bonjour à tout ce beau monde, un petit commentaire poli et attentioné pour chacun.
A moi, il me demande si j'ai toujours des douleurs fantômes à la main.
Le sujet de la seance d'aujourd'hui est "Quel est le moment où vous vous êtes senti le plus heureux de votre vie ?"
Silence dans la salle, tout le monde se regarde avec un air complice, la même réponse en tête : "Quand j'ai pris la décision de me suicider, que j'ai choisi la date et comment j'allais le faire".
A ce moment "Winnie" fait irruption dans la pièce. Winnie c'est, bien sûr, son petit nom. Il est là, parmi nous, parce qu'il a fourré sa bite dans un nid d'abeilles et a littéralement niquer la ruche, au propre et au figuré. Il s'est retiré après avoir éjaculé, juste avant d'atteindre le seuil critique de piqûres qu'un homme peut endurer. Il a déjoué les plans de la mort, 1 chance sur 71 de mourir par piqûre d'abeille.
En ce qui concernant sa mésaventure, pas de malchance, juste beaucoup de masochisme, encore un coup de ce sadique barbu dans les nuages.
Ca me fait penser que deux jours à peine après mon retour ici bas, j'ai bien cru avoir une nouvelle opportunité qui s'est à nouveau transformée en blague.

- scénario improbable numéro 8 :

L’infirmière vous apporte votre plateau repas, comme il est coutume dans ces lieux, la nourriture est infecte, à tel point que vous vous mettez à vomir (intoxication alimentaire 1/3842) et comme si ça ne suffisait pas l’infirmière s'est trompée dans vos doses de médicaments (empoisonnement involontaire 1/139).

Mais tout cela ne semble pas suffisant pour Dieu qui est d'humeur joueuse ces dernier temps. A moins qu'il ait demandé une révision des statistiques ou une décision politique, il ne semble pas vouloir nous accorder de répit.
Et ce n'est pas comme s'il n'avait pas le choix, la liste des causes de mort est longue, pas besoin d'inspiration. Il pourrait juste nous attribuer une des plus communes. N'importe laquelle ferait l'affaire, une maladie cardiaque (1 chance sur 6), un cancer (1 chance sur 7) ou même un AVC (1 chance sur 28). Mais non, il a fallu qu'il nous les refuse toutes, y compris le suicide (1 chance sur 115). A croire qu'il préfère nous voir souffrir comme des fourmis qu'il brulerait avec une loupe. A plusieurs reprises, il a décliné ma demande d'asile, pour mon corp souffrant, mon esprit malade, mon coeur meurtri, mon âme en peine. Une fois n'est pas coutume vous retournez dans cet hôpital, avec ces mêmes déments en vue d'une hypothétique guérison qui ne viendra pas. Suicidaires et malchanceux, losers nés, incapables de se tuer proprement, incapables de réussir quoi que ce soit, d'entreprendre quelque chose jusqu’à son propre suicide.
Tout ce que nous voulions c'était partir, être libre et en paix mais indépendamment de notre volonté nous sommes condamnés à rester ici.
On ne choisit pas sa vie, pas plus que sa mort.

jeudi 6 août 2015

Trop Jeune Pour Mourir : Nevada

Nevada


L'obscurité est pratiquement totale bien que le soleil ne soit pas encore couché, caché par les montagnes qui nous entourent. La température descend à mesure que nous progressons dans la Queen Valley longeant la chaîne des White Mountains. Allyson s'est entourée d'une couverture à l’arrière, la tête posée contre la portière.
Je sors un sandwich triangle de son emballage et mets un croc dedans. Je ressens à l'instant cette sensation de liberté maintes fois décrite dans les livres, les cheveux au vent, roulant dans l’inconnu. J'ai envie de hurler à la lune comme un loup, ou un de ces deux motards saouls dans Easy Rider. Dans le rétroviseur extérieur, j’aperçois Allyson qui me dévisage en passant son doigt sur sa lèvre inférieure lascivement. Son regard, planté dans le mien, s'intensifie sous ses longs cils comme pour me signifier quelque chose : "Tu as de la sauce mayonnaise dans la barbe". Idiot. Je m'essuie du revers de la manche et peux voir du coin de l’œil mon frère se marrer en essayant de ne pas quitter la route des yeux.
Nous passons à l'instant la frontière de l'état, la ligne imaginaire qui démarque la Californie du Nevada entre Boundary Peak (sommet le plus haut de l'état) et Montgomery Peak.
Le paysage désertique défile dans l'obscurité, pleins phares, nous ne voyons rien d'autre que la route et le relief rocailleux.
"J'aurais bien fait un petit détour par Vegas, pas vous ?" lance James à notre intention mais Allyson ne répond pas, elle s'est endormie et moi je ne suis pas franchement pour. Je lui rappelle que c'est à plus de 4 heures de route.
Soudain surgit de nulle part - comme un mirage - un vieux panneau rouillé indiquant l'aéroport de Coaldale, abandonné comme la ville qu'il desservait autrefois.
Ce que je pense être un énorme avion de ligne, nous survole lentement à basse altitude. On se sent moins seul au monde. Allyson imperturbable, grogne dans son sommeil.
La route devient mauvaise, plus poussiéreuse, bosselée même. Le GPS se met à chercher un satellite avant de le perdre définitivement et pour parfaire le tout, James annonce en tapant sur le volant qu'on sera bientôt à court d'essence, le signal s'est allumé accompagné d'un bip répétitif et agaçant. Avec tous ces voyants qui clignotent, on se croirait en pleine zone 51.
Allyson réveillée par les secousses de la route demande ce qu'il se passe, d'un regard accusateur j'enjoins James à lui répondre.
"Je viens de rentrer dans la réserve, chérie"
"Mais... comment ça se fait ?
"J'ai oublié de faire de l'essence à Bishop"
"Gros étourdi!"
"Désolé ma chérie. Je t'ai réveillé en plus" dit-il en lui faisant un baiser sur le front tout en caressant ses longs cheveux rouges.
Et dire que la minute d'avant il envisageait de prendre la route pour Las Vegas, sans essence, sans GPS (à cause du désert et des montagnes) et sans moyen de communication. Tomber en panne dans le désert ou les bonnes idées de James.
"J'ai fait un horrible cauchemar... Je rêvais que j’étais sur une table d'opération et que des aliens me disséquaient."
A ces paroles James ricane et conclut : "Peut-être que tu t'es fait poser une sonde anale comme Cartman dans South Park". Ils rigolent tous les deux en imitant les bruits des vaches martiennes de ladite série.
Le décor vient s'agrémenter de plantes arides. Nous passons maintenant près des marais salants de Colombus, une autre ville fantôme qui n'a rien de rassurante.
Notre espoir revient lorsque nous commençons à percevoir les lumières d'une ville au lointain, cependant il nous est impossible d'apprécier la distance qui nous sépare de celle ci, je souhaite seulement que nous n'ayons pas à pousser la voiture.
40 minutes plus tard, un panneau... Vient ensuite Tonopah, la première ville habitée que l'on a croisé en 2 heures de route. Il est maintenant 20 heures.
Nous traversons la ville pour faire le plein d'essence et reprenons la route 6.
En sortant de la ville, à quelques miles de là, nous remarquons la base militaire d'entraînement aérienne si j'en crois le petit dépliant touristique que j'ai pris à la station service. Il paraît qu'ils y font des tests de bombardements nucléaires.
Une piste d’atterrissage abandonnée vient une fois de plus croiser notre chemin, c'est la "Moroni landing strip".
Plus loin, l'autoroute se sépare en un croisement prés de Warm Springs et son aéroport.
Si vous prenez à droite vous allez à la zone 51 par la route 375, connue sous le nom touristique de "Extraterrestrial Highway" (c'est aussi écrit dans la brochure), qui doit son nom à des élus locaux opportunistes, désireux d'entretenir les rumeurs pour promouvoir la région. Elle s'est même trouvée un sponsor "KFC" qui a fabriqué le premier logo visible depuis l'espace à deux cents mètres de l'autoroute.
Bien que tentés par l'aventure paranormale, nous prenons à gauche, fidèles à la route 6 puis décidons de bifurquer sur la 379, direction Eureka.
Il est 1 heure du matin quand nous nous arrêtons enfin pour dormir, à la belle étoile, sur un bord de route sauvage. Pratiquement 12 heures de routes, James semble épuisé plus que je ne le suis et c'est bien normal c'est lui qui conduit.
Les premiers rayons du jour illuminent le ciel, l'horizon vide et endormi. James dort le siège baissé au maximum, moi je ne pouvais pas, Allyson est assise derrière moi.
Je l'observe en train de dormir, angélique. La couverture tirée par un pied, laisse se dessiner les courbes de sa poitrine.
Cette poitrine ferme, siliconée qui m’empêche trop souvent de détourner le regard quand je lui parle. Les seules fois où je m'autorise à les contempler c'est quand elle dort - comme maintenant - sur la banquette arrière en regardant dans le rétroviseur central.
James n'a jamais réalisé la chance qu'il avait d’être à ses côtés, ou alors l'avait-il fait seulement après chaque fois qu'il l’avait trompé.
Comme cette fois en 1ère année, où je l'avais surpris avec cette brune, Abigail sur le parking du lycée. Le lendemain, rongé par sa conscience il demanda Allyson en mariage.
Et moi, en connaissance de cause je me suis contenté de jouer au bon frère, de ne rien dire et de voir celle que je considère comme la femme de ma vie me filer entre les doigts, donner sa main à quelqu'un qui ne la mérite vraiment pas. Bien sûr j'ai espéré qu'elle s'en rende compte, mais que voulez vous... l'amour est aveugle.

Une fois tout le monde réveillé, nous rejoignons le centre ville d'Eureka pour prendre un petit déjeuner avant de continuer notre périple magnifique.
En sortant de la voiture, Allyson embrasse James et je détourne une fois de plus le regard gêné. Ce que je vois c'est le policier en uniforme de cowboy qui vient vers nous. Il semble tout aussi dégoûté par le baiser des amoureux.
"Messieurs, dames, je peux savoir ce que vous faites ?" fait-il d'un ton menaçant, les deux mains sur sa ceinture - certainement prêt à dégainer - son regard nous inspectant des pieds à la tête avant de s'attaquer au véhicule.
"Bonjour, nous sommes de passage, pour manger et repartir, nous avons fait quelque chose de mal Monsieur l'agent?" lui répond James.
"Oui, vous venez d'enfreindre la loi fédérale, les moustachus sont interdits d'embrasser".
"C'est une blague ?!" rétorque James partagé entre la colère et la stupéfaction d'une telle nouvelle.
"Ah bon... excusez nous, nous n'étions pas au courant." finis-je par dire pour apaiser les esprits sans toutefois comprendre ce qui se vient de se passer.
"Vous allez devoir vous acquitter d'une amende avant de repartir." dit-il en notant la plaque d'immatriculation de la Cadillac.
Nous ne sommes pas les bienvenus dans cette petite ville et nous le comprenons vite, nous payons la contravention - c'est quoi cette loi débile?! - et continuons sur la route 50, "The loneliest road", jusqu'à Ely en espérant que celle-ci soit plus accueillante. Elle est en tout cas plus grande, c'est d'ailleurs la plus grande ville que l'on ait croisée depuis que nous sommes dans le Nevada. En recherchant un endroit où manger, nous passons devant une vingtaine de peintures murales et de nombreux casinos dont le Jail House et je vois bien que la pulsion du jeu ronge l'esprit de mon frère quand il tapote nerveusement le volant.
On voit beaucoup de voitures immatriculées en Utah garées devant les casinos, le jeu étant interdit dans ce pieux état voisin, ils viennent ici s'amuser.
Après tout le Nevada est l'état des chasseurs de fortune. Il y a encore cent ans de ça nos ancêtres sont venus remuer la poussière à coups de pioche en quête d'or et d'argent. Aujourd'hui encore, c'est ici, à Las Vegas et à Reno que l'on vient avec des rêves de richesse en espérant un coup de chance, une bonne pioche.

Nous nous arrêtons prendre des cafés et des donuts dans un Subway faisant face à un McDonald's, les deux grands rivaux de la restauration rapide.
James cède à la tentation et engloutit 15cm de sandwich, Allyson en profite pour faire des jeux de mots tendancieux avec les 15 cm et le glaçage de son donut auquel il répond par la fameuse réplique "Hummm des donuts" en prenant la voix d'Homer Simpson.
Rassasiés, nous partons sans traîner. Quel soulagement de retrouver la route 6, le fil rouge de notre transhumance. Cette mésaventure à Eureka est sans doute un signe pour nous le rappeler. Les routes 50 et 93 viennent rejoindre la nôtre, fusionner pour longer la chaîne montagneuse de Schell Creek, avec ses plaines et forêts verdoyantes. On peut même apercevoir cerfs et biches gambader librement dans les pâturages. Plus loin nous roulons dans la Snake Valley, passons près du mont Wheeler Peak et juste au nord de Baker, cette petite communauté fermière Mormone, comme un petit avant-goût de l'Utah qui nous attend après la frontière.

mercredi 1 juillet 2015

Vague de Chaleur

Vague de chaleur


Le maître nageur s'époumone dans son sifflet, les bras en l'air pointant toutes les directions, un énième appel au calme depuis que les portes de la piscine se sont ouvertes. Aujourd’hui, comme durant les 20 derniers jours qui se sont écoulés le thermomètre dépasse les 40 degrés. "Ici, à Shanghai on avait pas vu ça depuis au moins 140 ans!" annonce l'un des journalistes en s'épongeant le front du revers de sa manche. Habituellement en short sous leur veste de costume, certains se sont mis en sous-vêtements (et même en maillot de bain pour les plus prévoyants) avec des couches sous les aisselles. "On dénombre au moins dix morts causées par la canicule dans la grande métropole de l'Est Chinois qui compte 25 millions d'habitants. Cette vague de chaleur plonge plus de huit provinces du pays soit 400 millions d'habitants en alerte." poursuit-il en s'éventant avec ses fiches. La télévision reste allumée par précaution - d'une éventuelle diffusion d'alerte spéciale - dans le petit poste de garde près du grand bain. Depuis que la température s'est mise à monter, les piscines publiques ont été prises d’assaut. Dans le bassin de 50 par 20 mètres les gens s'entassent autant que possible à la manière de spermatozoïdes dans une goutte de sperme. Ils sont si nombreux que la perspective donnerait à penser qu'ils pataugent dans le petit bain. La couleur de l'eau jaunâtre accentue cette impression. L'odeur de chlore caractéristique des piscines publiques a laissé place à celle de la pisse, non pas qu'elle soit plus forte mais apparemment plus présente en proportion dans la composition de l'eau.

Les uns sur les autres, ils tentent de ne pas boire la tasse d'urine qui remue par vagues leurs corps engourdis dans ces bouées multicolores. De temps à autre, le maître nageur s'assure que les bulles qui remontent à la surface ne soient pas celles de quelqu'un qui se noie mais bien de flatulences groupées. La chaleur associée aux bulles rappellent celles d'un jacuzzi, sauf qu'il ne s'agit pas là des riches qui se prélassent, flûtes de champagne aux lèvres, mais bien de la classe moyenne qui se noie dans une mer d’excréments. La surpopulation n'est pas un phénomène nouveau pour le pays qui a imposé la politique de l'enfant unique.

Au journal télévisé, on montre maintenant des plaques de pierre dans la rue sur lesquelles sont déposés des tranches de bacon et des œufs qui cuisent en à peine dix minutes avec la seule chaleur du soleil. Le déjeuner est aussi servi dans la piscine. Un enfant rend le sien après avoir constaté qu'une crotte flottait à la surface de l'eau. Ce qui provoque une réaction en chaîne, les baigneurs se mettent à se vomir les uns sur les autres puis à se battre. Tout devient hors de contrôle. Tous s’éclaboussent de merde en gouttes, en avalent en criant, bougeant comme en stop motion, leurs mouvements ralentis par l'eau et la chaleur. La couleur de l'eau passe progressivement du jaune au vert, du vert au marron et du marron au rouge, du plus clair au plus foncé. Le corps d'une fillette flotte - la tête vers le bas - maintenant elle aussi à la surface, à la différence de la crotte, les baigneurs hystériques n'y prêtent même pas attention. Pire qu'une merde, une sous-merde, une merde sous-marine peut être ? Le maître nageur plonge à la rescousse de l'enfant dans l'indifférence générale.
A croire que plus on est, moins on est...civilisé.

Dans ce pays, l'un des plus peuplé au monde, où ses habitants sont interdit par la loi d'avoir plus d'un enfant par couple, une telle non-réaction prend tout son sens.
Pour certaine famille, la naissance d'une fille est vécue comme un coup du sort, pratiquement une fausse couche.
Les raisons sont nombreuses mais la principale est qu' elle ne pourra pas travailler au même rendement qu'un garçon. A moins d’être issus d'une minorité ethnique ou habitants d'une zone rurale, ils n'ont que leurs appareils génitaux pour pleurer.