mardi 3 juin 2014

Dernière Volonté


Dernière volonté


J'ai les yeux bandés, mais je sais où je suis. Je suis enfermé dans le coffre d'une voiture.
Cela fait maintenant plus de deux heures qu'on roule, mes articulations me font mal et à chaque secousse due au relief de la route ma tête cogne partout.
Comment je suis arrivé là ? Je ne sais pas. A vrai dire je n'ai pas vu le coup venir j’étais de dos et il faisait nuit, je sortais du boulot et j'allais regagner ma voiture quand...
C'est ma copine qui va me tuer. "Mais où t'as passé la nuit ?! Encore dans une de ces boîtes de strip-tease avec tes connards de potes ?"
Soudain j’entends le volume de la musique augmenter, jusque là le bruit du moteur et des essieux couvrait le son de la radio.
Il me semble reconnaître cet air, on dirait "It's now or never" d'Elvis. C'est notre chanson, je sais que ça peut paraître ringard mais on a notre chanson.
Pour la première fois depuis ma séquestration je craque. Je pleure à la seule pensée de ne jamais la revoir, la femme de ma vie.
Le véhicule ralentit. Le chauffeur arrête le moteur et fait claquer la portière en sortant ce qui m'indique qu'il n'y a qu'une personne.
L'absence de bruit aux alentours elle m'indique que je suis dans le désert. Le métal brûlant de la carrosserie vient me le confirmer.
Le coffre s'ouvre, l'air frais me parvient et me fait l'effet d'une résurrection. Soudain je me sens tiré par le col et balancé à terre.
Mes mains sont liées à mes pieds de sorte que je ne peux me tenir debout.
Le sol est sableux je peux le sentir sur mon visage que je frotte par terre, tentant de retirer en vain le bandeau.
"Qu'est-ce-que vous attendez de moi ?
Putain mais répondez-moi..."
En me redressant je crie, je m’époumone puis plus rien. Le silence. Je tourne la tête dans tous les sens comme si je pouvais voir ce qui m'entoure.
Chercher une issue du regard.
J'essaie de reculer, dans le sens opposé à la voiture quand je sens remonter le long de ma nuque le canon froid d'un revolver.
Je lève la tête pour m’adresser à mon agresseur.
"Vous faites sûrement une erreur. Je suis quelqu'un de bien, je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit! Laissez-moi partir, je ne raconterai rien, je vous le promets".
A peine ai-je prononcé cette phrase, l'arme collée sur ma tempe, que le ressort du chien retentit.
Je le sais je vis mes derniers instants. J'inspire un grand coup puis après un court instant renifle nerveusement. Cette odeur...
L'horreur m’envahit subitement, j'ai peur que toutes mes craintes viennent à se réaliser. Ce parfum... Malheureusement j'en ai la certitude.
Je le reconnaîtrais entre mille, c'est le parfum de ma femme.
"Je vous donnerai tout ce que vous voulez, j'ai de l'argent mais je vous en supplie ne touchez pas à ma femme. Tuez-moi si ça vous chante mais ne lui faites rien."
C'est ce que je hurle en roulant sur moi-même, vautré dans la poussière. C'est trop tard, il appuie sur la détente.
Le déclic que fait la gâchette en tapant sur l'amorce sonne creux, il n'y a pas de balles dans le revolver.
Stupéfait, je n'ose rien dire. Je suis comme mort, et comme quelqu'un qui meurt je me suis chié dessus.
Mes muscles ont lâché sauf mon cœur qui continue à battre encore plus fort.
Il me contourne, s'agenouille devant moi et retire le bandeau de mes yeux.
Ébloui, la première chose que je distingue est le décolleté ravissant de ce que je pensais être un ravisseur.
A ce moment précis, je me demande si je suis mort, ce qui logiquement expliquerait le fait que je sois maintenant au paradis.
Au beau milieu du désert, sous le soleil couchant je retrouve ma femme dans une robe blanche éclatante, souriante les yeux pétillants de joie.
C'est alors qu'elle me demande de l'épouser, de la chérir et de la protéger quoi qu'il advienne jusqu’à ce que la mort nous sépare.


vendredi 2 mai 2014

Orange de gris

   

Orange de gris



"Orange pour vous donner envie de croquer le soleil".
Je dois dire que je n'ai jamais compris cette phrase, les publicitaires sont parfois difficiles à suivre. Ce sont les poètes de notre époque, incompris parfois.  Peut-être que dans quelques années un professeur de littérature à la ramasse criera au génie mais pour le moment tout ce que cette phrase m'évoque c'est de la colère.
Cela me gâche la vue, moi qui m'étais porté volontaire pour les travaux de voiries dans le comté d'Orange - D’où le panneau, faire une publicité pour son propre comté dans ce comté ça n'a pas de sens! -
En prison le seul moment où vous pouvez voir l'extérieur de ces immenses murs de béton gris c'est soit d'en sortir - après avoir purger sa peine ou réussir à s'en évader, vous avez le choix - ou de participer aux travaux d’intérêts généraux.
Le gris devient rapidement déprimant, accentuant ce sentiment de claustrophobie qui vous gagne au fil des jours. Si nos tenues n'étaient pas orange, je jurerais que mes yeux ne voient plus de couleurs. Le comble pour un peintre! Vous imaginez ? C'est ce que j'étais avant d’être incarcéré ici, avant de me faire chopper par la Police à passer au feu orange sans permis avec de la cocaïne dans la boîte à gants.
Je me sens comme Ray Charles a qui on parlerait de couleur musicale.

De temps à autre, à l'occasion d'une bagarre générale, les couleurs reviennent dans la prison.
D'abord un peu de rouge vermillon vient amener un peu de gaieté entre ces murs. Certains gars en sont euphoriques, ça crie partout, ça tape les barreaux, pour peu on se croirait derrière les grilles d'un zoo à l'heure du petit déjeuner.
Les gardiens affolés séparent les prisonniers ou viennent finir le travail, et à ce moment-là, la joie dans les cœurs revient.
Je vois briller l'humanité dans les yeux de mes codétenus, quand l’infirmière pointe le bout de son nez accompagnée de deux grands brancardiers. Avec sa blouse blanche et ses longs cheveux blonds ondulant sur ses épaules c'est un ange venu en enfer racheter nos pauvres âmes.

Étant considéré comme toxicomane, on m'a interdit d'avoir de la peinture, les gardiens se figuraient que j'étais capable d'en ingérer pour "triper" avec.
J'en suis réduit à peindre avec mes excréments et mon propre sang.
Autant vous dire que j'aime mieux faire comme certains détenus qui parfois pour s'attirer les faveurs de la belle infirmière n'hésitent pas à se refaire le portrait en body painting, un autoportrait avec le mur ou la cuvette en acier. Un peu d’élan et un grand coup en avant.
Alors je creuse joyeusement avec ma pioche dans cette terre, pour faire mon trou, sous le ciel bleu, priant chaque jour pour qu'il ne pleuve pas et qu'il ne fasse pas gris.

samedi 5 avril 2014

Déséquilibré


Déséquilibré



Un pousseur fou sévissait dans le métro de la capitale. Je n'invente rien, ça faisait la une, t'avais qu'à lire les journaux si tu ne me crois pas. L'opinion publique était inquiète, elle l'est toujours... quoi qu'il arrive. On est comme ça nous, les français.

 Les rumeurs sur l'identité ou les motivations du criminel en question allaient bon train si je puis dire sans mauvais jeu de mots.  J'entendais certains évoquer de nombreuses hypothèses, du clochard "fou" à l'employé syndicaliste "fou" en mal de mouvement social. Autant de raisons différentes qui se regroupaient sous une seule idée : le criminel était forcément "fou". Tout le monde était d'accord sur ce point et tous étaient proches de la vérité.  Les crimes n'étaient pas réguliers en fréquence, on pouvait passer des mois sans en constater un.  Cela trouvait son explication dans le fait que notre pousseur "fou" en était bien un. Habitué des séjours psychiatriques, il rentrait et sortait de l'hôpital comme si c'était chez lui et dans ce sens c'était presque devenu le cas.


 Sans un sou, il déambulait dans les couloirs du métro. On ne peut pas dire que la sécurité l'empêchait de franchir les grilles. Son petit plaisir était de marcher à cloche-pied en sifflotant jusqu'aux escaliers. Une fois arrivé en haut, il posait ses fesses sur la rambarde et se laissait glisser sur celle-ci jusqu'en bas. Il n'aimait pas les touristes ni les personnes âgées, qui se pressaient devant les portes en bouchant la sortie des passagers mais ce qu'il détestait encore plus c'était les jeunes cadres dynamiques en costard qui marchaient le long du rebord, téléphone collé à l'oreille. La manœuvre était facile il suffisait d'une légère impulsion du doigt ou de simuler un étirement et le cadavre grillait déjà sur les voies.  Il adorait faire ça, ça lui rappelait le jeu de son enfance du "c'est toi le loup". En bon mauvais perdant, il faisait en sorte de gagner à tous les coups sans possibilité de revanche.


 Un jour, à l'entrée de la station du métro, il croisa une femme et son jeune fils, âgé de 8 ans, l'âge parfait pour un compagnon de jeu pensa-t-il.  Notre déséquilibré, se plaça derrière le petit garçon qui lui sourit et lui fit signe de la main innocemment en le voyant.  Il interpréta cela comme une invitation à participer au jeu.  La mère remarqua que les lacets de son enfant étaient défaits. Elle le somma de les rattacher comme elle lui avait montré. Le petit secouait la tête d'un air désapprobateur. Elle lui dit qu'il risquait de tomber et de se faire mal.  Une voix féminine enregistrée annonça que le train était à l'approche dans le haut-parleur. Le décompte du départ était lancé.


 5...


 Le fou recula d'un pas pour prendre son élan alors que le petit garçon se baissait, résigné à obéir à sa mère.


 4....


 Ce qu'il ignorait à cet instant précis c'est qu'un autre jeu allait commencer dont il ne connaissait pas les règles, un jeu qui s'appelle "saute du-con". On pouvait voir les phares du train éclairer la voie.


 3....


 Quand il arriva à hauteur du petit garçon il comprit qu'il ne pouvait pas le faire et eu tout juste le temps de s'arrêter ce qui le déséquilibra légèrement.


 2...


 Derrière lui, un attroupement de touristes japonais s'était rué sur le bord du quai. L'enfant encore accroupi avait du mal à faire de belles boucles, elles finissaient toujours par se défaire.


 1...


 Le déséquilibré se retourna pour faire signe aux asiatiques de ne pas pousser, mais il était trop tard, la barrière de la langue n'avait pu empêcher la bousculade. Ses jambes tapèrent contre l'enfant baissé et le firent basculer par dessus la ligne jaune.


 0....