Tout le monde m'a mis en garde, mais je l'ai fait quand même. Ça pourrait très bien être mon épitaphe ou une phrase stupide que je me ferais tatouer plus tard, aujourd'hui c'est celle-là que je me fais piquer : "Good life" sur les phalanges avec un palmier et un verre à cocktail dessiné sur les pouces.
J'ai pas mal hésité avec "last life", une tête et une queue de chat. Il y avait aussi "long exil", un papillon et une chaine brisée en référence au roman d'Henri Charriere, mais ça faisait peut être trop "taulard", et donc référence à mon boulot. Ce n’était clairement pas le but, voir même tout l'inverse pour être honnête.
Oui parce que je suis surveillant à la pénitenciere, un maton comme on dit! Un métier avec une pénibilité particulière il faut l'avouer.
Non seulement vous êtes enfermés avec des individus dangereux, mais bien souvent vous avez le sentiment que ce sont eux qui vous surveillent et non l'inverse.
C'est justement pour me rappeler à mes bons moments, quand les temps sont difficile entre ses murs qu'alors je regarde mes doigts et relativise sur l'instant. Et là, je pense à mes vacances, à ses souvenirs qui me sont chers, loin d'ici, de tous ses barreaux d'acier et murs de béton. C'est un peu ma façon à moi de m'évader l'espace d'un instant.
Ca faisait un moment que je voulais me faire tatouer les doigts, aussi loin que je me souvienne, je crois que ça remonte à cette époque où je regardais des vidéos clips musicaux sur MTV allongé confortablement sur le lit de la chambre de ma grande mère.
Il y avait celui de "What's my age again" de Blink 182 qui passait en boucle à ce moment-là avec leurs batteur, Travis Barker, qui était entièrement tatoué!
À moins que ce soit les freres Madden dans le clip "boys and girls" de good charlotte.
Vous l'avez compris, j'ai eu une adolescence influencée par la musique pop punk...rien ne présageait donc une orientation professionnelle autour des métiers de la sécurité et pourtant...
C'est un milieu professionnel des plus dangereux. Basiquement, vous pouvez vous faire planter à chaque instant et si vous n'êtes pas suicidaire en rentrant vous le deviendrez surement. Cela touche aussi bien les "résidents" que les "surveillants". D'ailleurs, on est tous quelques parts résidants, puisque nous autres "matons" logeons généralement dans les quartiers jouxtant la prison. Tout ça peut rapidement devenir étouffant. Vous ressentez cette étrange sensation que les murs se resserrent autour de vous un peu plus chaque jour qui passe. Cet uniforme qui vous colle à la peau au point de vous demander si vous aussi vous n'êtes pas qu'un matricule. Voilà, pourquoi je me suis tatoué le cou et les doigts, pour me réapproprier mon corps, ma personne.
On pourrait très bien faire le parallèle avec les murs d'une cellule de prison, sur lesquels un condamné dessine, inscrits des phrases pour s'approprier l'espace.
Et donc, comme je disais au début, ma famille, mes amis et mes collègues m'avaient mis en garde, avec plus ou moins de bienveillance au sujet des conséquences que cela implique.
"Si un jour tu changes de travail ou que tu as des recrutements, ça va poser problème";
Certes, de par mon statut de fonctionnaire, j'ai une relative "sécurité" de l'emploi même si je peux me faire tuer à tout moment. Pour ma part, je ne nourrit pas d'ambition professionnelle particulière, n'étant pas carriériste et les perspectives étant assez limités, la promotion interne n'a que peu d'intérêt pour moi comme pour beaucoup de mes collègues.
À croire qu'ici, tout le monde veut s'évader.
Si au début, je m'en foutais, cela a fini par m'atteindre jusqu'à m'inquiéter.
Pourquoi me discriminerait-on sur mes tatouages plus que sur une ma taille, mon sexe, une calvitie, une dyslexie, un accent ou même une mauvaise dentition ?
Outre le fait qu'elles peuvent indiquer un éventuel problème d'hygiène, cela peut également être le cas de vice bien plus inquiétant comme la toxicomanie ou plus couramment l'alcoolisme associé au tabagisme.
Sinon, on pourrait tout aussi bien se concentrer sur les qualifications du candidat, comme sa maitrise de l'expression orale et écrite, de la pratique de langues étrangères (prenez l'anglais par exemple, qui de nos jours, s'impose comme un indispensable), mais non, on préfère s'arrêter sur des détails futiles.
J'ai un job qui me permet de payer mes factures et de voyager un peu, j'ai une femme que j'aime, qu'est ce qu'il me faut de plus ?
Peut être que j'aime vivre dangereusement ou que tout simplement, j'ai envie de faire ce que je veux, sans me soucier des conséquences, après tout, chaque jour qui passent j'ai d'innombrables exemples de personnes qui ont fait des choix de vie bien plus discutables et controversés que des tatouages sur les doigts.
Est-ce une raison valable pour me mettre moi aussi, au banc de la société comme les détenus que je surveille à longueur de journée ? Parfois, j'ai l'impression qu'on a plus de mensuétude envers les criminels que ceux qui ont la difficile tache de les garder.
Quoi qu'il en soit, je prefere etre moi même, que de rester enfermé dans les standards de cette conformité.
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